Les yeux fermés, je
tentai de lutter contre la peur qui me paralysait, mes pensées
fusaient dans tous les sens sans que mon corps ne puisse bouger d’un
centimètre. Je ne pouvais qu’attendre, tétanisé par l’effroi,
le dernier coup qui ne venait pas. Quand je me risquai à rouvrir un
œil, je constatai effaré que la faux, ainsi que toute la
matérialisation aqueuse se trouvait prisonnière sous la glace. Les
yeux cristallisés de l’ondine me regardaient, le gel avait capturé
son expression d’incrédulité, son étonnement, la présence dans
mon esprit s’évapora.
De nouveau seul avec
moi-même, une lueur d’espoir m’envahit, le combat s’achevait
là.
C’était sans compter
sur la ténacité de mon adversaire. Dans la brume environnante,
l’élément ne manquait pas de ressources pour créer un autre
corps, et cette fois, mon opposante se trouva être armée d’un
simple fleuret qu’elle faisait danser dans ses mains,
vraisemblablement habituée à manier un tel objet.
Sa première passe portée
à l’épaule me déchira un bout de vêtement ; brandissant le
bout d’étoffe au bout de sa lame, l’épéiste me regardait, un
sourire provocateur sur ses lèvres d’opale. La seconde attaque
visait ma poitrine, la femme se fendit de tout son long avec une
vitesse et une grâce incroyable, néanmoins je parvins à bloquer
l’épée avec mes dagues. Passant à l’offensive, je plongeai
vers ma cible, évitant un coup porté avec une précision extrême
entre mes deux yeux, malheureusement je fus obligé de battre en
retraite quelques secondes plus tard sous la pluie de lames que
faisait tomber mon ennemi.
Même en utilisant toutes
les capacités de mon personnage, l’esprit maniait magnifiquement
son outil et de mon côté mes armes me désavantageaient nettement
par leur courte portée. Il ne me restait que mes chaînes,
lesquelles faisaient gagner beaucoup d’amplitude à mes attaques
mais les rendaient aussi très prévisibles et faciles à esquiver.
Dans la situation
actuelle, des deux choix je choisis celui qui me donnait le plus de
chance de victoire. Balayant de la main droite l’endroit où se
tenait l’ondine, je lançai au même moment mon autre dague là où
la femme devait se baisser. Pour une fois mes calculs furent justes,
plutôt que de parer ma première attaque, l’ondine se baissa, là,
ma lame la toucha en pleine tête. Le corps solide revint à son état
d’origine, une flaque d’eau, seul le fleuret restait là,
reposant sur l’herbe trempée. Sans attendre, un nouveau pantin se
forma, muni lui aussi de la même arme que son prédécesseur. Je ne
pouvais pas attendre plus ; piquant un sprint mémorable, je
récupérai l’épée abandonnée et me retournai à temps pour
bloquer un coup vertical. Même si la taille, la forme et le poids de
mon arme changeaient, elle me paraissait plus maniable et plus
pratique, surtout dans le cas présent.
Les parades
s’enchaînaient, débutant en escrime, mes attaques restaient des
plus basiques et mon ennemi les repoussait sans difficulté ;
malgré tout je parvenais à lui tenir tête, même si la fatigue
commençait à rendre mes mouvements plus lents et moins précis. La
femme aquatique elle ne s’épuisait pas, ne ressentait pas la
douleur et ne connaissait en cet instant aucune peur, convaincue
qu’elle était de sa supériorité due à son rang d’élément.
Ma résistance avait tout de même réussi à l’irriter, et voir un
être inférieur tel que moi se rebiffer et résister si longtemps
l’exaspérait au plus au point.
-Rends-toi donc petit
homme, ne me force pas à aller plus loin et laisse-toi tuer
maintenant !
En toute réponse je
retournai à l’assaut avec toujours plus de rage, tentant vainement
de lui infliger la moindre blessure, chose que je savais impossible.
Chaque fois que ma détermination flanchait face à mes assauts
inutiles, l’image de ma guerrière me revenait en tête et
m’insufflait la force de continuer. Les minutes passèrent,
interminables, enchaînement perpétuel de parade et de vaines
attaques, l’expression de contentement que j’affichai à chaque
contre réussi finit d’énerver l’épéiste :
-Puisque tu ne
comprends pas où est ta place, je me vois dans l’obligation de te
la rappeler. Tu vas enfin mourir.
Sur son ordre, les
contours de mon fleuret oscillèrent et l’arme changea de forme ;
des pics de glace poussèrent dans tous les sens et grandirent si
vite que je ne pus les voir. Plusieurs de ces pieux pointaient dans
ma direction, mon œil eut simplement le temps de les distinguer en
train de foncer vers moi. Pour la seconde fois, le choc fatal ne
m’atteignit jamais. Les pointes s’étaient changées en glace à
quelques millimètres de ma peau, pour la seconde fois je m’en
sortais au dernier moment… ce détail me donna alors une idée.
Et si ma capacité à
geler s’activait à chaque fois que ma vie se trouvait menacée,
comme un reflexe de survie automatique ? Cette idée valait le
coup d’être essayée, d’autant plus que de nouveau armés de
dague et dans un état de grande fatigue, cela constituait ma
dernière chance de victoire.
En toute tentative
finale, je lançai donc mon attaque suicide qui se résumait à
courir droit vers mon ennemi sans même essayer de parer ou
d’esquiver le moindre coup. Si cette botte ne fonctionnait pas
alors c’en était fini de moi, la première attaque me tuerait très
certainement avant même que je n’aie fait trois pas.
Heureusement, ma théorie
loufoque s’avéra exacte, et au premier mouvement de l’ondine,
son bras se figea en l’air et se durcit. Rassuré quant à ma
survie, je poursuivis mon plan jusqu’au bout et tranchai dans le
ventre aqueux de l’esprit. Les deux plaies tracées par mes lames
se congelèrent et le froid se propagea ensuite à l’ensemble du
corps, le transformant en statue.
-Ne crois pas t’en
tirer comme ça, petit homme !
En effet, conformément à
ses dires, trois nouvelles marionnettes se formèrent à partir de la
brume environnante, ces trois nouveaux adversaires attaquèrent sans
plus tarder, mais tout comme les précédents, ces agresseurs
finirent à l’état de poupée gelée immobile.
L’élément essaya
alors de changer de tactique en matérialisant directement des lances
pour m’empaler, sans plus de succès.
Me sachant désormais
intouchable, je contemplais calmement les derniers efforts et les
dernières techniques que lançait l’esprit contre moi.
A chacune de ses
créations, le brouillard diminuait, et bientôt disparut
complètement, me rendant enfin mon champ de vision entier ; la
matérialisation du ruisseau disparut, au milieu gisait Marie,
évanouie. Je la serrai dans mes bras, sa respiration était saccadée
mais au moins elle vivait, l‘épreuve était terminée, j‘avais
gagné, grâce à elle, pour elle.
Gabriel, alerté par le
bruit, s’était réveillé et me demanda ce qui venait de se
passer.
-Une sorte de test
d’entrée, ai-je répondu, et je l’ai réussi.
Ne comprenant pas de quoi
je voulais parler, il n’insista pas plus et, après lui avoir
assuré que tout allait bien, il retourna veiller Anna, toujours
endormie dans l’herbe. Mon héroïne reprit vite conscience et
chercha instinctivement l’ennemi qui l’avait attaquée :
-Ne t‘en fais pas, la
calmai-je, elle est partie.
-Qui était-ce ? Un
héros ?
-Non, pas vraiment, mais
maintenant je devrais réussir à contrôler mon pouvoir.
Joignant le geste à la
parole, j’appelai mentalement l’eau du ruisseau et, docilement,
celle-ci vint
former une sphère dans
ma main.
-Tu as gagné pour
cette fois-ci petit homme, murmura la douce voix de l’eau dans
ma tête, j’admets t’avoir sous-estimé, mais tâche de
toujours être à ma hauteur, je ne me laisserai pas contrôler par
un faible.
La présence s’atténua.
Marie eut d’abord un mouvement de recul mais rapidement la
curiosité l’emporta sur la peur, timidement, elle effleura la
surface du globe.
Je tentai de former
quelque chose de simple, tout d’abord un carré, puis une pyramide,
au bout d’un certain temps, j’arrivai même à faire une étoile
assez correcte, la tache était plutôt complexe et je ne saisissais
pas encore tout. Les armes que je voulus faire ne donnèrent qu’une
masse informe, rien de bien utile lors d’un combat, ce nouveau don
requérait une grande concentration et ce simple exercice m‘exténua.
Le temps passa sans que
je ne m’en rende compte, Anna fut surprise, en se réveillant, de
voir des flots d’eau gravitant autour de moi, Le faucon se réveilla
à son tour, à force de rester auprès de la blessé, il avait fini
par s’assoupir de nouveau. S’il était surpris, il n’en
laissait rien paraître. De nouveau sur pied et en pleine forme, Anna
voulut reprendre la marche sans plus attendre, nous coupâmes donc
par la forêt en évitant les sentiers, jusqu'à la Montagne.
Le repos nous avait fait
du bien à tous et nous progressâmes rapidement. A la tombée de la
nuit, nous étions arrivés au pied. Malgré la montée, la fatigue
ne se fit pas ressentir et un petit vent frais nous rafraîchissait
agréablement, Anna ne gardait aucune trace de l’attaque et
avançait à bon rythme, comme à son habitude.
En peu de temps,
l’obscurité nous entoura et il fut impossible de voir à un mètre
devant. Blottis les uns contre les autres contre la paroi rocheuse,
la nuit fut très longue. Cahoté par les bourrasques de vent qui me
fouettaient au visage, je dormis à peine.
Quand enfin l’aube
arriva, nous sortîmes de notre torpeur, comme des zombies, et
repartîmes sur le sentier en trainant les pieds. Même Anna qui,
jusqu'à présent n’avait pas montré un seul signe de fatigue,
autant physique que morale, affichait de larges poches sous les yeux
et bougonnait dès que nous disions quelque chose.
Les choses
s’améliorèrent quand, vers midi, le sentier déboucha sur un
grand plateau. Trop heureux, nous nous jetâmes dans l’herbe,
roulant dans cette prairie verdoyante avec insouciance. Nous fumes
tirés de nos rêveries par un claquement de langue désapprobateur ;
d’un bond, chacun était dur pied, armes prêtes .Ellana,
assise non loin, secouait la tête pour nous faire part de sa
déception :
-Non mais, franchement,
si j’avais voulu, j’aurais pu vous tuer sans que vous ne vous en
rendiez compte. Au cas où vous ne l’auriez pas encore compris,
nous sommes tous ennemis, mieux vaut donc rester sur ses gardes !
-Et que nous veux-tu,
demanda Anna.
-Juste voir si vous
alliez bien, mon maître aimerait que l’on s’affronte à la
loyale, il m’a simplement envoyé pour voir comment vous vous
débrouiller et d’après ce que je vois, ce n’est guère
réjouissant. Sur ce, j’y retourne.
Avec une grâce féline,
elle courut jusqu’au bord du plateau et entama sa descente avec une
agilité décourageante.
-Pour qui elle se prend!
s’insurgea mon héroïne.
D’un côté elle
n’avait pas tort, le fait d’être surveillé comme cela était
assez humiliant. Me reprenant, je me dirigeai vers le centre de la
clairière. Il y avait un petit feu, un peu plus loin, des sacs
étaient entassés et des petites couvertures, disposées à même le
sol, formaient un cercle autour des flammes. Le problème était que
ces affaires ne nous appartenaient pas, ce qui voulait dire que nous
étions observés. J’allais alerter les autres lorsque une lame
fusa droit vers moi ; à peine l’eus-je évitée en me jetant
au sol qu’une deuxième se planta à quelques centimètres de mon
bras.
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