vendredi 29 août 2014

Mort


Soudain Gabriel fit brutalement irruption dans la pièce, renversant plusieurs auteurs et faisant un si grand boucan que tous les regards se posèrent sur lui. En voyant son visage, je pus y lire un sentiment nouveau, de la peur.
Lui qui d’habitude restait de marbre devant toutes les situations affichait maintenant un faciès déformé par la terreur. Ses yeux, fuyants, vagabondaient à toute vitesse, cherchant une échappatoire, ne prêtant pas d’attention aux personnes qu’ils venaient de faire tomber, le Faucon poursuivit sa course. Quelques secondes s’étaient écoulées depuis l’entrée fracassante du héros, les écrivains qui se relevaient furent de nouveau jetés au sol par un nouveau personnage. Son identité ne laissait aucun doute, une longue robe de tissu noir déchiqueté, un capuchon recouvrant un crâne humain, des mains squelettiques maniant une grande faux, Gabriel fuyait la mort.
Afin de faire gagner un peu de temps à mon personnage, je lançai mes dagues sur son poursuivant, dans un craquement sinistre, les lames traversèrent le maigre vêtement et se bloquèrent dans les os nus de la faucheuse. Sans aucun signe apparent de douleur, la Mort extirpa mes armes de sa cage thoracique et continua sa traque, sans plus se soucier de moi. Mais Gabriel, en jetant un regard derrière lui, se rendit compte de ma présence, ce qui sembla lui redonner courage, ses traits se détendirent l’espace d’un instant, juste avant de se rendre compte que le squelette en haillons le talonnait toujours. Avant d’avoir pu tenter quoi que ce soit de nouveau, déjà les deux héros disparaissaient dans une autre salle, je m’élançai à leur poursuite, bien décidé à aider mon personnage qui de toute évidence ne s’en sortirait pas seul.
Cependant les deux « hommes » couraient à une telle allure que je peinai à les rattraper, trois pièces plus tard, le sniper s’arrêta quelques secondes, hésitant quant à la prochaine porte à prendre. Le spectre macabre profita de l’occasion et lança sa faux vers l’indécis :

-Gabriel ! Hurlai-je à pleins poumons.

Averti à temps, le tireur d’élite réussit à éviter l’arme qui tournoya jusqu’à deux femmes qui se trouvaient là par hasard. La lame les traversa toute les deux sans les blesser et se ficha dans la paroi derrière elles. Stoïques, les deux auteurs restèrent debout quelques secondes avant de s’écrouler, pâles, le regard vide, et morts.

Au même moment j’emprisonnai le tas d’os entre mes chaînes, bloquant ainsi le moindre de ses mouvements. Le faucon comprit mes intentions et sortit ses berettas, les pointant sur le prisonnier ; il le cribla de balles jusqu’à ce que ses chargeurs soient vides, mais les projectiles traversaient sans difficulté le corps osseux de la mort et continuaient leur chemin. Malheureusement je me trouvais en plein milieu de leur trajectoire et dus me jeter au sol afin d’éviter les tirs de mon propre héros. Mon étreinte se relâcha et la fossoyeuse s’étala par terre. Des morceaux d’os couvraient le sol ; affaissée sur elle-même, la mort ne bougeait plus, mais cette immobilité ne dura pas longtemps, le tas de haillons se redressa, le squelette à moitié en miettes s’anima, son bras droit détruit, elle prit sa faux dans l’autre main et marcha dans ma direction. Rechargeant ses pistolets, Gabriel tira une deuxième salve qui, comme la première, transperça la Mort pour aller finir leur course dans le mur, après m’avoir obligé une seconde fois à plonger au sol. Sans se presser, la faucheuse s’avançait, un quart de son crâne avait explosé à cause des balles, mais malgré cela l’orbite vide qu’il lui restait me regardait, dans un mouvement lent, la faux se leva ; acculé contre un mur, je ne pouvais fuir nulle part. Je levai mes dagues, me préparant à bloquer la lame en croissant de lune, mais, lorsque le coup arriva, l’acier traversa mes armes et mon corps avant de se planter dans le sol. J’avais froid, mes membres devenaient lourds, engourdis, face à moi le crâne se reconstituait, les mâchoires s’écartaient, une voix suintante siffla :

-Que faut-il faire, bûcheron ?

Mon champ de vision s’obscurcissait, réunissant mes derniers éclats de lucidité je m’accrochai encore un peu à la vie. Dans le néant qui m’entourait une voix parvint jusqu’à moi :

-C’est afin de m’aider à recharger ce bois ; tu ne tarderas guère, le trépas vient tout guérir .Mais bougeons d’où nous sommes, plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes !

Sans un bruit, le spectre s’évapora, le froid glacial qui me gagnait peut à peu reflua. L’engourdissement disparut également et je récupérai l’usage de mon corps. Dans la salle il ne restait aucune trace de la figure macabre, mon héros accourait vers moi et m’aida à me relever, suivi d‘une autre personne que je ne connaissais pas. Durant plusieurs minutes, je reprenais mes esprits sans prononcer le moindre mot, le nouvel arrivant profita de mon silence pour se présenter :

-Je m’appelle William, je suis un auteur au service de l’administration. Tu as de la chance que j’ai pu te sauver, un peu plus et tu y passais !

-Mais comment l’avez-vous fait partir ? Demanda Le Faucon

-Grace à un message qui nous est parvenu ce matin même d’un auteur, le message contenait les initiales du tueur en série. Grace à notre base de données nous avons pu trier les suspect. Le nombre d’auteurs dont les initiales sont J.L est assez important mais si l’on cherchait les auteurs utilisant des animaux et la Mort il ne restait plus qu’un résultat.

Reprenant vie, je me redressai et toisai mon sauveur d’un regard avide :

-Et alors, qui est-ce ? Trépignais-je

-Il s’agit de Jean de Lafontaine, le fabuliste de 17ème siècle. Pour vaincre ses personnages, il suffit de réciter la fin de la fable d’où ils sont issus.



Mon moment d’excitation céda rapidement à un nouvelle vague de fatigue, la mort m’avait frôlé, encore quelques secondes de plus dans son étreinte et c’en était fini de moi. Malgré tout une pensée me réconfortait, l’affaire du tueur en série était élucidée et je n’aurais plus à frissonner au moindre bruit de pas dans mon dos. Gabriel me soutenait afin de m’empêcher de tomber, mes jambes tremblaient et refusaient de me soutenir, plusieurs éraflures couvraient mon épiderme sans compter une longue brûlure là où la faux m’avait traversé.

-Ce n’est peut-être pas le moment mais il faudrait que vous me suiviez jusqu’à mon bureau afin de répondre à quelques questions.

Je m’apprêtai à répondre mais tout ce qui sortit de ma bouche fut un long gémissement inarticulé, une secousse parcourut l’ensemble de mon corps et je m’effondrai par terre. La douleur dans ma poitrine reflua puis disparut, les coupures et les égratignures se faisaient littéralement dévorer par ma peau, celle-ci, frémissait et recouvrait la moindre de mes blessures. L’opération n’avait duré que quelques secondes qui parurent durer des heures entières, à la fin, rien ne laissait supposer mon précédent combat contre la mort, une énergie nouvelle coulait dans mes veines.
Rassurant mon héros qui, en me voyant tomber, n’avait rien pu faire, je répondis à mon sauveur de nous ouvrir le chemin. Mettant de côté son étonnement, il nous amena hors de la salle dévastée, jusqu’à un couloir particulièrement animé dont les murs étaient percés, à intervalles réguliers, de portes en bois peintes en gris clair et portant des plaques en fer comportant un nom et un prénom. Le dit bureau où nous fit entrer l’auteur n’avait rien de bien particulier, une petite table calée au fond de la pièce était recouverte de dossiers, des cartons encombraient l’essentiel de l’espace, formant des structures improbables à l’équilibre précaire. Un pupitre, totalement libre de paperasse, occupait un autre coin de l’office, William s’y attabla et sortit du papier vierge avec de quoi écrire.

-Alors, déclara-t-il d’une voix forte en se penchant sur sa feuille, je vais passer les formalités pour me diriger immédiatement vers ce qui nous intéresse. Emmanuel, c’est bien toi n’est-ce pas ?

J’opinai du chef, il continua :

- Tout d’abord, fais-tu partie du groupe de poètes indépendantistes qui essaye de saboter l’administration depuis un certain temps ? Je me doute que, en temps normal, si tu en faisais partie, tu ne me le diras pas, mais vu ce qui vient de se passer j’espère vraiment que tu parleras franchement.

-Je ne fais partie d’aucun mouvement indépendantiste, et d’aucun mouvement de manière générale.

-Bien, autre chose, es-tu un poète ?

-Vous êtes la deuxième personne à me poser cette question, non, je n’écris pas de poèmes, de sonnet ni aucun texte en vers.

L’agent notait soigneusement chaque mot de notre conversation, lors de ma dernière réponse, il releva la tête, son regard s’éclaira d’une flamme intéressée :

- Tu me dis qu’une première personne t’a déjà posé la question, saurais-tu me dire qui elle est ?

- Je ne connais que son nom, Emma.

Piqué au vif, le jeune homme bondit de sa chaise et courut plus qu’il ne marcha vers son bureau, là, fouillant au milieu de colonne de chemises, il sortit un dossier et le parcourut fiévreusement :

- Est-ce qu’il s’agit d’une trafiquante de personnages se trouvant dans le hall principal ?

-C’est bien elle.

-Il s’agit de la 7 ème victime du tueur.

-7ème ? M’exclamai-je en ouvrant de grands yeux étonnés, mais jusqu’ à présent…

-Toutes les morts n’ont pas étés rendues officielles, toujours est-il que cette femme s’est fait tuer hier soir, comme un autre auteur d’ailleurs.

J’hésitai à lui dévoiler tout la vérité au sujet de la dealeuse, mais si je ne faisais rien, elle resterait enfermée dans son coffre-chambre durant encore longtemps. Me décidant à tout raconter, j’expliquai à William tout ce que je savais et, après avoir répondu à quelques autres questions, il nous laissa repartir, Gabriel et moi. Alors que nous quittions le bureau une personne ouvrit la porte à toute volée, manquant de peu de me renverser, L’homme, d’une corpulence impressionnante, ne prit pas le temps de s’excuser et s’adressa directement à son collègue :

-Depuis ce matin quatre auteurs ont trouvé la mort.

-Tiens, moi aussi, je l’ai croisée tout à l’heure.

Le colosse jeta un regard colérique au jeune garçon et se força à garder son calme :

-Non, articula-t-il lentement, je voulais dire que ces personnes sont décédées suite à l’attaque du tueur en série.

- Ah. Autant pour moi.

L’auteur esquissa un sourire provocateur, ce qui finit d’énerver le géant qui se mit à beugler :

-Comment peux-tu rire de tout ceci ? Je ne vois pas ce qu’il y à de drôle dans le fait qu’un meurtrier coure les couloirs sans que nous puissions l’arrêter !

-C’est exact, cela n’a rien de drôle, mais rassure-toi, il y a peu de chance que les meurtres se poursuivent, je me rendais de ce pas dans le bureau du chef pour lui faire un rapport sur l’identité du tueur en série.

La phrase décontenança l’homme qui, pris de court, s’en alla en grommelant contre l’écrivain.

-Ne t’inquiète pas, il aboie beaucoup mais ne mord pas. Retourne à ta chambre, désormais tout est sous contrôle, nous allons arrêter La Fontaine et cette affaire sera enfin terminée. Encore merci pour ta coopération et pour les informations que tu nous as fournies. Je ne sais pas si tu seras récompensé mais sache que si un jour tu as besoin de quelque chose je me ferai une joie de te rendre la pareille.

Dans le couloir, la foule était en plein effervescence, la nouvelle sur l’identité du tueur en série se répandait comme un nuage de poudre, lorsque William quitta son bureau, tous les regards se posèrent sur lui, toutes les discussions cessèrent dans la seconde. L’ambiance devenait de plus en plus pesante, personne n’osait demander la confirmation de la rumeur qui courait, profitant de l’immobilité générale, je me faufilai jusqu’à la porte de sortie et repris le chemin des chambres.




lundi 25 août 2014

trucage

Retrouver le chemin ne fut pas une partie de plaisir. Même si, avec l’habitude, je commençais à acquérir quelques repères, les couloirs et les salles qui s’enchaînaient se ressemblaient toutes. Arrivé dans la cabane, je retrouvai la lampe gardienne qui me fit rentrer dans la chambre coffre fort, mes héros quant à eux devaient attendre dehors. L’auteur se trouvait à la même place que lors de ma première visite, si se n’est que cette fois elle tenait un livre de personnage entre les mains.

-Je te dois une fière chandelle, me lança-t-elle en m’entendant entrer, j’ose espérer que tu as gagné ?

En toute réponse je lui remis l’ouvrage contenant la description du prince des voleurs ;

-Me voila maintenant propriétaire du fameux Arsène Lupin !

Elle me gratifia d’un grand sourire avant de continuer, plus sérieusement :

- Maintenant que je suis payée, tu peux me poser toutes les questions que tu veux, cela va de soi.

-Je suis assez étonné de voir que Maurice Leblanc ait accepté de parier un héros comme Lupin.

-Ho ! ça ? Leblanc désirait des livres de ma collection assez précieux, cela n’a pas été facile mais j’ai réussi à le faire parier. Avant que tu ne demandes, le héros qu’il voulait était Alice au pays des merveilles.

- Vous avez dans votre collection un personnage aussi mythique ?

Le compliment fit sourire mon interlocutrice qui se redressa fièrement :

-Et oui, mais ce n’est que une de mes raretés. Mais passons, tu n’as pas fait tout cela simplement pour parler de mes trésors n’est-ce pas ?

-Sais-tu qui est le tueur en série ?

-Je n’ai aucune certitude là-dessus, ce que je sais s’est qu’il s’agit de l’homme qui était venu récupérer son livre lors de notre première rencontre. Ton héros l’a vu, il pourra te le décrire mieux que moi qui, dans l’obscurité de mon bureau, ne distinguai pas son visage.

-Et tu n’as aucune autre information qui pourrait m’aider ?

-Si ce que je t’ai dit est vrai, alors j’ai les initiales du tueur : J.L. Malheureusement je n’ai pas pu transmettre ces informations à qui que ce soit mis à part toi, tous les éclaireurs que j’envoie se font tuer. Tiens, le clone de moi qui vous a conduit jusqu’au combat, eh bien, il est mort.

La nouvelle me fit l’effet d’une douche froide, l’héroïne savait-elle qu’elle était visé et a-t-elle choisi que l’on se sépare pour attirer le tueur ? Était-ce une coïncidence et alors si nous avions continué notre chemin ensemble le meurtrier nous aurait attaqués tous la fois ? En revanche ma récompense me paraissait bien faible en comparaison de ce qu’il m’avait fallu faire, de simples initiales et un vague espoir de portrait de ma part de Gabriel.
Malgré tout, je repartis dans ma chambre, ma question n’ayant trouvé que des demi-réponses. En chemin, je demandai au Faucon de nous décrire l’homme qu’il avait empêché de rentrer dans la cabane de la dealeuse.

-Je ne l’ai pas vraiment vu, il portait un capuchon et un long manteau qui ne laissait rien voir de sa physionomie. Tout ce que j’ai remarqué, c’est de longs cheveux noirs un peu bouclés, et un grand nez crochu.

En effet, la description ne m’avançait pas beaucoup.




Après s’être restauré au salon des modifications, il fut décidé que l’après -midi serait consacré à nous reposer. Ne désirant pas rester enfermé dans la chambre, je proposai de chercher la sorte de parc visible depuis notre fenêtre ; l’idée fut acceptée avec joie et, une demi-heure plus tard, nous nous prélassions, couchés dans l’herbe, et profitions de chaque rayon du soleil.
Malgré toutes mes tentatives de rapprochement, Marie refusait toujours de me parler, son entêtement finit d’ailleurs par m’exaspérer, quoi que je fasse, quoi que je dise, rien n’y faisait et son visage restait fermé.
De nombreux auteurs profitaient du magnifique temps pour se reposer, comme nous, s’offrant une pause dans ce monde fantastique, un temps mort entre les combats. Dans ce grand carré de verdure, personne ne se souciait du classement, de la guerre ou même du tueur en série, tous les problèmes étaient mis de coté l’espace de quelques heures. Lorsque le soleil disparut derrière les bâtiments, nous rentrâmes manger, après quoi, dans un silence de mort, nous rejoignîmes notre chambre où chacun partit se coucher.




Les rayons qui filtraient au travers des volets me réveillèrent très tôt, la chambre était encore plongée dans la pénombre. Dans le lit, Marie, enroulée dans la grosse couverture, dormait paisiblement ; à côté d’elle, Anna, n’ayant rien pour se réchauffer, s’était recroquevillée en position fœtale. Le faucon se tenait debout, adossé contre un mur.
-Tu ne dors pas ? Lui glissai-je le plus doucement possible

-Je n’ai plus sommeil, c’est toi qui m’as créé, tu dois savoir que je n’ai pas besoin de beaucoup de repos.

Effectivement, je me souvenais de cette caractéristique. Me levant à mon tour, je partis comme, chaque matin, prendre mon petit déjeuner. Alors que je mangeais tranquillement mes tartines, une silhouette que je reconnus instantanément s’assit à côté de moi. Me toisant durement, elle finit par m’interroger d’un ton glacial.

-Marie m’a tout dit, tu t’es transformé en héros ?

-Oui.

Ma réponse sembla lui déplaire, elle haussa le ton.


-Tu es conscient de ce que cela implique. Pour toi, la bataille sera décisive, tu devras obligatoirement gagner si tu veux en sortir vivant.

Que croyait-elle, bien sûr que je le savais, mais je ne pouvais de toute façon pas faire demi-tour, c’était trop tard. Voyant que j’étais déterminé, elle posa la main sur mon épaule et me dit, d’un ton solennel :

-Dans ce cas, quand nous nous verrons sur le champ de bataille, je devrai te tuer, même si cela ne me fait pas plaisir, je suis bien décidé à ce que mon maître gagne.

N’ayant que faire de ses serments, je la regardai s’éloigner en finissant mon café. Mes personnages me rejoignirent un peu plus tard, les deux héroïnes, encore ensommeillés, prirent leur petit déjeuner dans le silence le plus complet. Aucune nouvelle n’indiquait que le tueur ait fait de nouvelles victimes, signe sans doute que le couvre-feu instauré portait ses fruits, on percevait cependant une certaine tension dans les couloirs, les gens se regardaient avec des regards méfiants, voyant en chacun le tueur recherché.
Malgré tout, reposés et détendus, nous quittâmes le salon des modifications pour parcourir les salles à la recherche d’un nouvel adversaire. Au fil de nos pérégrinations, une arène attira mon attention, ou plutôt ce fut tous les auteurs agglutinés autour qui me surprirent.
Une vive rumeur parcourait les rangs des nombreux spectateurs ; dans la cage, une femme s’évertuait à attraper un livre posé au sol. A son expression frustrée, on devinait que le personnage ne réussissait pas à faire ce qu’elle voulait, et pour cause, il lui était impossible de seulement toucher l’œuvre, à chaque fois ses mains stoppaient avant d’avoir pu frôler la couverture. D’après les bribes de phrases que je parvins à entendre, le personnage tentait déjà de bouger l’ouvrage depuis plusieurs minutes.
Les deux écrivains propriétaires des personnages observaient « l’affrontement » près de l’entrée de l’enceinte, il n’était pas dur de deviner à qui appartenait le « vainqueur » du duel. En effet le jeune auteur regardait, le sourire aux lèvres, l’héroïne qui essayait vainement de franchir la barrière invisible qui l’empêchait de se saisir du livre, se délectant de chacun de ses échecs. Le manège dura plusieurs minutes, puis la femme se retourna vers son auteur et lui fit comprendre qu’elle ne pouvait rien faire. Alors que le public s’attendait à un abandon, l’écrivain sortit une feuille et y rédigea quelques lignes, une tornade de feu embrasa l’endroit où se trouvait l’écrit, les flammes tournoyaient, sortant de terre pour monter à plusieurs mètres.
Avec une telle violence, rien ne pouvait résister à cet incendie concentré, pourtant, quand le brasier s’éteignit, le livre se trouvait toujours au même endroit, sa couverture ne portait aucune trace de brûlure.
Après le feu, l’homme essaya l’eau, un dôme aqueux se forma autour du héros livre, quand le liquide s’évapora, rien n’indiquait que l’œuvre n’ait subit des dégâts. La terre succéda à l’eau, puis ce fut au tour de l’air, mais rien n’y faisait, ni les rochers ni les bourrasques n’abimèrent les pages. A court d’idée, l’écrivain, dépité, finit par déclarer forfait.

-L’auteur Jeanne Thomson passe à la 1457ème place, bravo. L’auteur Javier Otegui rétrograde à la 1864ème place, dommage.

Le public applaudissait timidement, voyant en ce personnage objet un problème de taille. La gagnante, radieuse, ne fit pas attention aux regards méfiants que lui jetaient certaines personnes :

-Quelqu’un veut-il relever le défi, clama-t-elle, trois combats et trois abandons d’affilée, qui veut être le quatrième ?

Les gens détournaient les yeux, s’éloignaient discrètement ou remuaient la tête en signe de refus.

-Tente le coup, me glissa Anna.

Inutile de me le dire, déjà je m’avançai vers la jeune femme en tant que challenger ; en me voyant, son sourire s’élargit encore plus. Arrivé à sa hauteur, je la saluai et désignai mon assassine comme combattante, immédiatement elle entra dans l’arène, dagues en main, et se jeta sur son « adversaire ». Ses lames furent déviées avant d’avoir pu entailler le cuir de la couverture.

-Abandonne tout de suite, jubila l’auteur à côté de moi, mon héros est un livre, et les héros ne peuvent toucher au livre, c’est dans le règlement, ce qui rend mon personnage intouchable en combat.

Tandis que mon héroïne poursuivait ses attaques, plus inefficaces les unes que les autres, la phrase que je venais d’entendre tournait dans ma tête, un détail échappait à ma collègue, son personnage n’était pas aussi invulnérable qu’elle ne pouvait le croire.

-J’abandonne.

Une lumière rouge s’alluma au dessus de l’entrée

-L’auteur Jeanne Thomson passe à la 1046ème place, bravo. L’auteur Emmanuel rétrograde à la
1074ème place, dommage

Se laissant emporter par son euphorie, le vainqueur se tournait déjà vers les spectateurs pour les inviter à l’affronter.

-Mais je demande une revanche.

Etonnée, elle se retourna vers moi et me regarda, hésitante, sentant que quelque chose n’allait pas.

-Allons, tu l’as dit toi-même, aucun héros ne peut toucher ton livre, tu ne prends donc pas de risque à accepter ma revanche.

Elle opina, je poursuivais :

-Dans ce cas, à mon tour d’entrer dans l’arène.

Perplexe, la femme s’apprêtait à ouvrir la bouche quand je matérialisai mes armes.

-Je suis aussi un héros, lui expliquai-je, j’ai tout à fait le droit de combattre.

Ne trouvant rien à redire, l’écrivain se contenta de me regarder pénétrer dans la cage de fer. Devant moi, le livre soit disant intouchable reposait à même le sol, je m’approchai et tendis mes mains vers lui. A quelques centimètres, mes doigts s’immobilisèrent, comme si un mur invisible entourait l’ouvrage, je réessayai une deuxième fois, avec mes dagues, les lames ricochèrent sur la mystérieuse barrière sans la traverser. Effectivement le livre semblait inaccessible aux héros, cependant, les auteurs n’étaient sûrement pas concernés par l’interdiction de contact. Mes armes disparurent, les plaques d’armures qui couvraient mon corps aussi ; m’accroupissant, j’attrapai délicatement le cahier et feuilletai ses pages, on pouvait y lire la description d’un livre, sans aucune personnification, ni figure de style, simplement un portrait, une liste de caractéristiques. Me relevant doucement, je marchai vers les limites du ring et passai le personnage objet entre les barreaux, un haut parleur hurla :

-Infraction ! Infraction ! Infraction ! Héros sorti de l’arène, défaite dans 3. 2. 1.

De nouveau le gyrophare rouge s’alluma.

-L’auteur Emmanuel passe à la 965ème place, bravo. L’auteur Jeanne Thomson rétrograde à la 1106ème place, à cela s’ajoute la sanction due à l’infraction du règlement. L’auteur Jeanne Thomson rétrograde donc de 100 places supplémentaires et se retrouve à la 1206ème place, dommage.

Jeanne n’en revenait pas, bouche bée, elle restait sans rien dire. En passant devant elle je posai ma main sur son épaule :

-Désolé, tu es sûrement tombée sur la seule personne qui pouvait battre ton personnage.

Et, sans rien ajouter, je m’éloignai, suivi de mes personnages, fier, droit, en quête d’un nouvel affrontement. Une fois sorti de la salle, quand Jeanne ne put plus me voir, je laissai échapper un long soupir et fis exploser mon soulagement, en entrant dans l’arène, je n’étais pas persuadé que mon plan marcherait et, le cas échéant, j’aurais perdu encore des places. Adossé contre un mur, je tentais de calmer les battements de mon cœur quand le Faucon se redressa brusquement, scrutant le flot des écrivains.

-L’homme au capuchon chez la trafiquante, glissa-t-il avant de se jeter dans la foule, emporté par le courant de personnes.

Bientôt Gabriel disparut de notre champ de vision, englouti par les auteurs et les héros qui se croisaient sans cesse, aucun de nous n’eut le temps de réagir. L’inquiétude se peignit sur le visage d’Anna.

-Et comment va-t-on le retrouver maintenant ?

-Ne t’en fais pas, la rassurai-je, nous n’allons pas rester à rien faire, on peut toujours demander à des gens s’ils l’ont vu passer et nous séparer pour la chercher.

Mettant en application mes consignes, je m’approchai d’une femme et l’interpellai :

- Excusez-moi, vous n’auriez pas vu par hasard un homme grand, plutôt costaud portant un sniper dans son dos et des pistolets à sa taille ?

Etonné, l’auteur ouvrit de grands yeux ronds et me répondit :

-What ?

Je commençai à répéter ma phrase quand tout à coup sa réponse me parut étrange, elle parlait Anglais, alors que toutes les personnes de ce monde parlaient un parfait Français.

-Why are you speaking French ? S’enquit-elle.

Avec l’aide de mon Anglais très lacunaire, je formulai une réponse à peu près cohérente que l’écrivain sembla comprendre malgré mon accent catastrophique. De retour près de mes personnages qui, de leur côté, avaient rencontré les mêmes problèmes de langage que moi, nous mîmes en commun les informations collectées, à savoir rien.

-Presque tout le monde parle dans une autre langue, désespéra Marie, et les quelques personnes comprenant le Français, et elles ne sont pas nombreuses, n’ont pas vu passer Gabriel.

Nous n’avions plus comme choix que de nous séparer pour partir à la recherche du disparu. Après s’être donné rendez-vous à notre chambre, chacun d’entre nous partit dans une direction différente.
Errant seul de salle en salle, je me sentais soudain moins en sécurité, bien que la moindre parcelle de sol soit foulée par des centaines d’auteurs, je me sentais vulnérable, la simple pensée du tueur en série me faisait frissonner. Mes pérégrinations ne m’apportèrent aucune nouvelle information, le héros restait introuvable et le récent problème de communication m’empêchait de me renseigner auprès des autres personnes.
Un message se répandit dans les couloirs et les salles via des haut-parleurs, d’abord en anglais, puis français :

-Un bug généralisé du système est à l’origine des traductions instantanées défectueuses, nous vous prions d’accepter nos excuses et nous nous engageons à réparer ce dysfonctionnement le plus rapidement possible.

Le message se répéta en Chinois, en Japonais, en Espagnol ainsi que dans toutes les langues parlées dans le monde.




jeudi 21 août 2014

le roi des voleurs

Anna se trouvait dans un étroit couloir qui bifurquait à une dizaine de mètres, l’autre héros n’était pas là, pourtant ils étaient rentrés à quelques secondes d’intervalle, avait-il déjà pris de l’avance ? Si tel était le cas, alors mieux valait se dépêcher. L’assassine marcha dans la seule direction qui lui était permise. Quelques pas après la bifurcation, l’héroïne se trouva face à une large porte de bois noir. Sans prendre de précautions, elle tourna la poignée :

-Qui va là ?

La voix provenait de l’autre côté du battant, une voix dure et forte. Face à l’absence de réponse, le garde ouvrit violemment la porte.
Mon personnage, tenant toujours la poignée, fut emporté par la force du gardien et le percuta de plein fouet ; l’homme tituba, surpris de la présence de la jeune femme ainsi que du coup qu‘il venait de recevoir. L‘Amante, tout aussi surprise, se releva d’un bond et fondit sur son ennemi, se glissant dans son dos, elle lui assena un coup sec dans la nuque.
Son combat terminé, elle prit le temps d’observer la pièce dans laquelle elle se trouvait ; en plus de celle se trouvant derrière elle, deux autres portes donnaient sur deux nouveaux corridors. Un lourd lustre pendait au plafond, les meubles en bois précieux richement sculptés et les tapis couvrant le sol indiquaient qu’il s’agissait bien d’un manoir et que son propriétaire devait posséder une fortune immense.
Ne se souciant guère du faste de la salle, l’héroïne poursuivit son chemin, optant au hasard pour la porte à sa droite, de nouveau un couloir la mena dans une grande salle qui, cette fois, ne possédait aucun vigile. Encore une fois deux chemins s’offraient à Anna, elle choisit de continuer tout droit. Les salles s’enchaînèrent, parfois gardées et parfois non, après un quart d’heure de recherche infructueuse, l’assassine s’autorisa une pause et s’affala dans un long canapé de soie rouge. Toutes les pièces se ressemblaient et le sentiment de tourner en rond la tenaillait. Pour se rassurer, avant de reprendre sa recherche, l’héroïne grava une croix sur un des murs, une trace bien visible qui lui permettrait de reconnaître l’endroit si jamais elle revenait. Elle s’apprêtait à repartir quand une porte s’ouvrit, Arsène Lupin entra, marchant tranquillement, sa canne accrochée à son bras, bien droit, sans faire aucun effort de discrétion. Le voleur admirait le mobilier et ne remarqua pas tout de suite la jeune femme qui l’observait, atterrée par son insouciance.

-Tiens! S’exclama-t-il en prenant enfin conscience de sa présence. Mais voilà donc ma chère adversaire.

Il s’inclina respectueusement et retira son chapeau.

-Ne trouvez vous pas ce bâtiment fort bien décoré, jeune demoiselle ? Je n’ai pas encore eu le plaisir de tomber sur le masque mais je dois avouer que je me contenterais bien de quelques –unes de ces toiles qui ornent les murs.

Anna ne répondait pas, elle gardait les mains crispées sur ses armes, détail qui n’échappa pas à Lupin.

-Voyons très chère, ne soyez pas si tendue, je ne désire aucunement me battre.

Rien n’y faisait, elle refusait de baisser sa garde.

-Si vous continuez ainsi, je devrais moi aussi me préparer au combat, chose que je ne désire pas particulièrement.

Finalement l’amante rengaina ses dagues et s’avança vers l’homme d’une démarche chaloupée.

-Effectivement, il s’agit d’un bien bel endroit.

Elle continuait de se rapprocher, posant sur Lupin ses grands yeux verts. Son regard envoûtant charma le voleur.

-Quelle grâce, j’ai peine à croire qu’une aussi belle femme que vous se batte !

Et, mettant un genou à terre, il lui baisa la main.

-Les femmes sont bien mystérieuses, jubila-t-elle, et à être trop sûre de soi on finit par le payer.

D’un geste vif, l’assassine porta sa main libre à sa hanche pour attraper sa lame, le gentleman cambrioleur venait de terminer son baisemain et, réagissant promptement, profita de sa position pour tordre le poignet de mon héroïne qui stoppa son mouvement pour hurler de douleur.

-A qui donc s’adressent ces mots ? A vous ou bien à moi ?

A force de se débattre, mon personnage parvint à se libérer et recula hors de portée de son adversaire

-Puisque vous le prenez ainsi il ne me reste qu’une solution.

L’homme dégaina une longue épée de sa canne et la pointa vers Anna, laquelle brandissait également son arme devant elle. Les deux combattants restaient immobiles, Lupin bougea en premier, fléchissant les jambes, il s’élança droit vers son opposant. Prête à parer n’importe quelle attaque, l’assassine resta bouche bée quand, à quelques mètres d’elle, le voleur changea soudain de direction et s’enfuit par une des portes. Mon personnage restait seul, stoïque, sous le coup de la surprise, puis, prenant enfin conscience que son adversaire s’était éclipsé, elle se rua à ses trousses. Les deux personnages se poursuivaient à travers les salles, le voleur ne montrait aucun signe de fatigue, mais sa poursuivante ne démordait pas et gagnait peu à peu du terrain. Ils arrivèrent enfin dans une pièce où quatre gardes défendaient une seule et même porte, au même moment Anna se jetait sur sa proie et la plaquait au sol, lui faisant lâcher son arme.

-A moi ! S’écria le voleur. Cette femme est folle, messieurs, je vous en prie, venez-moi en aide !

Rejoignant les deux héros, les gardiens attrapèrent mon personnage et la jetèrent violemment un peu plus loin. Lupin, croyant que sa ruse avait fonctionné, se releva d’un bond et ramassa son arme. Sa joie fut de courte durée, les quatre hommes se retournèrent vers lui, bien décidés à ne pas le laisser s’échapper.

-Je vous aurais cru plus stupide, veuillez m’excuser, je ne recommencerai plus, et si je vous ai vexé, je m’en excuse aussi.

Un grognement répondit à sa phrase. Obligé de se battre, le Leblanais jeta derrière lui son chapeau troué et retroussa ses manches. Puis, plus à l’aise dans ses mouvements, il frappa le premier homme, plantant la lame dans son l’épaule, l’acier rentra sans peine dans la chair du malheureux qui gémit de douleur mais qui n’abandonna pas pour autant, saisissant la main armée de l’épéiste, il l’attira à lui et frappa, un coup puissant dans le ventre qui plia Lupin en deux. En se redressant, le héros fut accueilli par un nouveau coup, cette fois porté au visage, qui l’envoya au tapis, à moitié évanoui.
Il fallait préciser que les gardes, au visage patibulaire, mesuraient près de deux mètres et possédaient des bras démesurés aussi larges que des troncs d’arbre, et la comparaison n’était pas si exagérée que cela.
Dans leurs dos, mon héroïne s’était relevée et se faufilait à pas de loup vers l’entrée que gardaient jusque là les brutes. Tournant la poignée, Anna eut la mauvaise surprise de découvrir la porte fermée à clé ; pour couronner le tout, les sentinelles repérèrent l’assassine et se jetèrent sur elle.
Faisant preuve d’une grande agilité et d’une souplesse étonnante, elle louvoya entre trois des hommes et acheva le quatrième, déjà blessé par Lupin, en lui traçant une longue estafilade le long du ventre.
En voyant leur compagnon s’écrouler, les visages des combattants se durcirent encore plus, les sourcils froncés et la mâchoire crispée, l’un d’entre eux s’avança de deux pas. Après avoir jeté un dernier regard sur son ami mort, il s’avança d’une démarche pesante vers son opposante, autour de son cou brillait une petite clé attachée à une chaîne dorée. Mon personnage attaqua dès que le colosse fut à portée, une grosse main attrapa son bras et la souleva hors du sol. Plus elle essayait de se dégager et plus l’étau se serrait, lui tirant une grimace de douleur, son autre main frappait désespérément la montagne de muscles, ses maigres poings ne dérangeaient aucunement l’homme qui continuait de serrer le bras de l’héroïne.
Alors que tout semblait perdu, une épée traversa le corps du géant jusqu’à la garde, rentrant entre les omoplates et ressortant de l’autre côté au niveau du torse. Arsène Lupin s’était relevé et, une fois son arme récupérée, s’était fendu de tout son long pour porter au gardien ce coup mortel. De rage, le blessé utilisa Anna comme arme et la projeta contre le voleur qui fut percuté de plein fouet par l’héroïne. De nouveau au sol, les deux personnages peinaient à retrouver leurs esprits.
L’assassine se releva en premier et, avisant son adversaire qui se rapprochait d’elle à grands pas, elle prit ses jambes à son cou et s’enfuit de nouveau vers la porte fermée ; dans sa main la clé pendait à la chaînette dorée arrachée du cou de son propriétaire. La porte se déverrouilla et Anna s’apprêtait à entrer quand elle vit, derrière elle, le personnage voleur qui, courant à en perdre haleine, la suppliait de l’attendre. Encore quelques mètres les séparaient quand une réalité s’imposa à elle, il s’agissait d’un ennemi. L’héroïne ferma la porte et tourna la clé dans sa serrure, de l’autre côté du battant elle entendait les gardes qui se ruaient sur Lupin.



La nouvelle salle, éclairé de projecteurs pendus au plafond, ne comportait qu’une colonne sur laquelle trônait le masque, les murs blancs ne comportaient aucun ornement et ne présentaient aucune fissure ou anfractuosité, le sol de marbre était absolument lisse. Le visage d‘or, incrusté de pierres précieuses, à l’expression neutre, attendait là, sur son piédestal. La lumière qui l’inondait ricochait sur les gemmes et reflétaient mille couleurs sur les parois immaculées, des milliers de taches colorées dansaient dans la pièce, allant du bleu au rouge.
Méfiante, Anna fit d’abord le tour de la pièce afin de vérifier qu‘aucun piège ne se déclencherait puis, rassurée, elle s’approcha du trésor et le saisit délicatement. Evidemment tout cela ne pouvait pas être aussi simple, à l’ instant où l’objet quitta son présentoir, un grondement parcourut la salle, un large pan de mur disparut ; derrière, dans un endroit sombre ne comportant aucun éclairage, se trouvait une horde de fauves rugissant. La captive pâlit à la vue des animaux qui se rapprochaient, n’ayant d’autre choix que la fuite, elle revint vers la porte, l’ouvrit, et se retrouva nez à nez avec les gardes. Refermant vivement, elle fit face aux félins, lesquels avançaient, lentement, leurs yeux rivés sur leur proie, ne lui laissant aucune issue possible.
Des deux morts probables qui l’attendaient, l’héroïne choisit celle qui lui parut la moins douloureuse ; de nouveau face aux deux colosses, elle se mit en garde, décidée à se battre jusqu’au bout. Le combat auquel elle s’attendait n’eut cependant pas lieu, les hommes, en voyant s’avancer les tigres, léopards, guépards et autres carnivores à quatre pattes, prirent peur et s’enfuirent à toutes jambes.
Miraculeusement débarrassée de ses ennemis, la jeune femme ne tarda cependant pas à les imiter quand un détail la perturba : qu’était devenue son autre adversaire ?
Avisant une trace de sang sur le sol qui continuait jusqu’à disparaître derrière une porte, on pouvait en déduire qu’il était parvenu à s’échapper, blessé mais encore en vie. Retrouver son chemin ne fut pas difficile, quand sa mémoire lui faisait défaut, les grondements dans son dos lui rafraichissaient la mémoire. Devant la dernière porte du dernier corridor qui la séparait de nous, elle trouva Lupin, le bras tout ensanglanté, qui lui interdisait l’accès.

-Ce n’était pas très gentil, ironisa-t-il, aucune femme ne m‘avait encore fait cela, allons, donne- moi le masque et j’essayerai de tout oublier…

Il s’apprêtait à poursuivre sa phrase lorsqu’un rugissement bestial couvrit sa voix. Dans le dos de mon personnage, un jaguar lancé à plein vitesse sauta par-dessus l’héroïne et se jeta sur le voleur, enfermant la tête du Leblanais dans sa gueule. Dernière survivante, Anna s’éclipsa sans demander son reste. Derrière moi, Maurice Leblanc pestait contre son héros mort. Ma championne ne tarda pas à nous rejoindre, brandissant le masque comme un trophée au-dessus de sa tête.
Mis à part quelques hématomes et des entailles bénignes, elle ne semblait pas être gravement blessée. Les deux parieurs s’avancèrent l’un vers l’autre, le perdant tendit devant lui le livre que je l’avais vu parcourir avant notre combat, puis, en silence, sortit de la salle, la tête basse et son chapeau rabattu pour couvrir ses yeux ; de notre côté, l’imitation d’Emma nous reconduisit vers sa propriétaire. Mais, à la moitié du trajet, l’héroïne stoppa net :


-A partir d’ici je vous laisse continuer seuls, expliqua-t-elle de sa voix toujours aussi inexpressive, prenez ce livre et donnez-le à ma maîtresse.

mardi 19 août 2014

Marchandage



8




La nuit fut particulièrement agitée, des cauchemars entrecoupaient mon sommeil, me faisant me réveiller en sursaut, couvert de sueur, haletant et le cœur battant à toute vitesse. Finalement, après un quatrième mauvais rêve particulièrement troublant, je choisis de rester éveillé et d’attendre l’heure où la porte de la chambre se déverrouillait.
Lorsque je sortis de l‘appartement, tous mes héros dormaient encore. Jamais les couloirs ne me parurent aussi vides, seuls quelques auteurs les arpentaient en affichant une mine peu réveillée et traînant les pieds, il ne fallait pas se leurrer, je devais être dans le même état qu’eux. Mes pas me conduisirent tout droit vers la pièce gargantuesque où se trouvaient les dealers, l’hôpital et le classement des auteurs. Malgré l’heure matinale, les « vendeurs », postés devant leurs petits bidonvilles personnels, attendaient, patiemment, un éventuel client. En revanche, celle avec qui je m’étais entretenu quelques jours auparavant manquait à l’appel ; plus inquiétant, l’entrée de sa cabane se trouvait entourée de rubans jaunes sur lesquels les mots « interdiction d’entrer » étaient inscrits en gros caractères. Profitant qu’il n’y ait presque personne dans la salle, je me glissai derrière la planque et pénétrai à l’intérieur par la porte dérobée qui m‘avait servi d‘échappatoire la première fois.




Tous les livres jonchaient le sol, des morceaux de bois, appartenant sûrement à la bibliothèque, démontraient la brutalité de ce qu’il s’était passé là ; quelques tôles manquantes permettaient à la lumière de rentrer, dévoilant le capharnaüm, les « murs» portaient des éclaboussures écarlates. Des feuilles piétinées et froissées permettaient de délimiter l’endroit où avait eu lieu ce qui semblait être un combat farouche.
Effaré, je m’apprêtais à sortir demander aux autres dealers ce qu’il s’était passé quand un bruit dans mon dos retint mon attention. Renversée dans un coin, une lampe à huile répandait son contenu visqueux sur le sol ; en m’approchant, l’objet que je croyais inanimé bondit sur moi. Une main me saisit par la nuque tandis qu’un canon de revolver, chargé et prêt à faire feu, se collait contre mon front ; l’héroïne polymorphe de la dealeuse me jaugea des pieds à la tête.

-Je suis déjà venue voir ta maîtresse, me justifiai-je, tu te souviens ? Tu avais ligoté mon héroïne à sa chaise.

Son arme s’éloigna de moi, le personnage se détendit sans pour autant lâcher ma gorge

-Autant pour moi, je ne t’avais pas reconnu. Il faut dire que lorsque nous nous sommes rencontrés, tu étais couché face contre terre. Qu’est-ce que tu viens faire ici ?

-A vrai dire, je me posais la même question. Quand j’ai vu les rubans condamnant l’entrée, j’ai voulu venir voir ce qui s’était passé.

L’héroïne me libéra et montra de sa main libre les pages froissées et déchirées qui ornaient le sol.

-Quelqu’un nous a attaqués hier soir.

-Vous n’étiez pas dans vos appartements ? M’étonnai-je.

-Nous vivons ici, notre propriétaire est une dealeuse, et bien que ce qu’elle fait soit autorisé, l’administration refuse de nous loger

-Et que s’est-il passé ?

-Tu ne préférerais pas plutôt parler directement à ma maîtresse ?

J‘acquiesçai, même si je ne m‘attendais pas vraiment à cette proposition. La femme se dirigea vers un coffre posé dans le fond de la salle et y frappa d’abord trois coups rapides, puis deux autres plus espacés.

-Emma, tu as de la visite, c’est le jeune homme de la dernière fois.

Le meuble émit un léger cliquetis et son couvercle s’ouvrit, en regardant à l’intérieur, je fus frappé d’y découvrir qu’une échelle de corde, attachée au rebord en bois, plongeait dans l’obscurité

-Voilà, je te laisse y aller, je dois rester ici afin de veiller à ce que personne ne vienne.

Se changeant de nouveau en lampe, Meta roula jusqu’à un coin sombre et s’immobilisa. Toute personne entrant en cet instant ne l’aurait pas différencié d’un objet classique. Suivant ses indications, je descendis la longue échelle jusqu’à ce que mes pieds rencontrent le sol ; au- dessus de ma tête, le couvercle se referma dans un grand bruit, me plongeant dans la nuit la plus totale. Un peu plus loin, un rai de lumière m’indiquait le chemin à prendre ; longeant un mur, j’avançais doucement, pas après pas, jusqu’à ce qui semblait être une porte. En ouvrant, une vague de lumière éblouit mes yeux déjà habitués à l’obscurité.
La salle ressemblait à un immense salon, une tapisserie florale recouvrait les murs, au centre de la pièce trônait une grande table en bois sombre sur laquelle étaient posés des piles de feuilles et trois livres de personnages. Dans un coin, des canapés entouraient une cheminée où brûlait une bûche, là se trouvait la dealeuse, entourée de deux de ses héroïnes. En m’apercevant, elle me fit signe de la rejoindre.

-Si je m’attendais à ta visite, s’écria-t-elle. Quel bon vent t’amène dans mon humble chambre ?

Devant mon visage surpris elle rajouta :

-Tu ne pensais tout de même pas que je dormais dans ce taudis, là-haut. C’est seulement une sorte de bureau. Bref, dis-moi ce que tu es venu faire ici.

-Et bien, en voyant que votre…bureau était interdit d’accès, j’ai voulu voir ce qu’il s’était passé, c’est là que je suis tombé sur votre héroïne qui montait la garde.

La dealeuse éclata de rire.

-Tu n’as toujours pas de vraie raison de me rendre visite, je veux dire autre que la simple curiosité. Et en voyant les bandes, tu ne t’es pas dit qu’il valait mieux passer ton chemin ? Cela dit, je suis assez contente d’avoir de la visite, cela fait plusieurs heures que je suis là et je commençais à désespérer que l’on vienne !

-Et qui serait venu ?

-J’ai envoyé un messager chez des amies, mais personne ne m’a répondu, et avec le tueur après moi je ne préfère pas me risquer à mettre le nez dehors.

-Le tueur en série en a après vous ? M’étouffai-je

-Comme je te le dis, c’est lui qui m’a attaqué hier soir, j’ai réussi à me réfugier ici mais je ne pense pas que cela le fera passer à autre chose, il est indéniable qu’il m’en veut, et je serais prête à parier que c’est à cause de son livre que j‘ai refusé de lui rendre.

Stupéfait, j’écoutais Emma me conter toute son histoire .Elle m’apprit que l’homme étant venu la voir juste après moi se trouvait être le tueur en série. Celui-ci venait récupérer son livre perdu, et lorsque la dealeuse refusa de le lui rendre gratuitement, l’homme en capuchon entra dans une colère folle et partit en la menaçant. Le soir venu, quelqu’un frappa à la porte, il s’agissait de nouveau du mystérieux visiteur, plus calme que durant l‘après-midi, il demanda encore une fois qu’on lui remette son œuvre, demande que la commerçante rejeta de nouveau. Au lieu de s’énerver comme la première fois, l’homme claqua des doigts, un énorme lion bondit dans le bureau et éventra les deux héroïnes qui protégeaient l’auteur. Celle-ci eut tout juste le temps de se réfugier dans sa chambre et de fermer le coffre de l’intérieur. Ainsi l’assassin, après s’être acharné sur le bois, dut renoncer et repartit en vitesse.
Peu de temps après, les forces de l’ordre arrivèrent, constatèrent les dégâts et, ne trouvant la dealeuse nulle part, ils la crurent morte et la comptèrent comme une nouvelle victime du tueur en série.

-Je ne suis ressorti qu’une seule fois depuis, afin d’établir un rapide inventaire, le livre de l’homme au capuchon avait disparu, il ne fait aucun doute qu’il l’a finalement récupéré ; qui plus est, durant toute la durée de mon listage, je sentais bien que l‘on me surveillait.

Elle fit une pause et me regarda malicieusement :

-Cette histoire était gratuite mais le nom de l’auteur à qui appartenait ce livre en revanche…

Je soupirai ; encore une fois je ne possédais rien pouvant l’intéresser, et malgré mes réticences, le désir de savoir était bien trop grand.

-Je n’ai rien à vendre, m’excusai-je.

- C’est faux, tu as tes personnages.

Mon sang ne fit qu’un tour.

-Pour la dernière fois, il est hors de question que je vende mes héros.

L’indic rit bruyamment :

-Je sais bien que tu ne le ferais pas, mais alors tu peux me rendre un autre service.

Perplexe, j’attendais la suite.

-Vois-tu, j’ai fait un pari avec un autre auteur ; celui qui perd doit donner un héros préalablement choisi à l’autre. Or il se trouve que vu la situation dans laquelle je me trouve, il serait assez stupide de sortir et l’affrontement se déroule dans quelques heures. Bien sûr, annuler reste la meilleure solution cependant je tiens beaucoup à gagner ce personnage, alors voilà ce que je te propose, combats à ma place, gagne et je te dirai tout ce que je sais.

-Je croyais que vous aviez une grande collection, vous ne pouvez pas envoyer une de vos héroïnes à votre place ?

-L’administration a confisqué mes meilleurs livres, ragea-t-elle, ce qui fait que je n’ai plus aucune combattante digne de ce nom, mis à part celles qui me protègent et que je préfère garder à mes côtés. Alors que penses-tu de mon offre ?

La proposition paraissait loyale…si on oubliait le trafic de héros, cela pourrait me permettre d’obtenir des informations importantes sur le tueur. Une fois avoir pesé le pour et le contre, je me décidai enfin à accepter le marché de la dealeuse Après avoir établi le déroulement du rendez vous, je remontai dans la cabane et ressortis par la porte de derrière. Emma m‘avait donné rendez-vous à trois heures devant sa planque ; là, un de ses personnages m‘attendrait et nous conduirait au duel. Pour l‘heure, je me dépêchai de rentrer voir mes héros afin de leur parler du marché avec la dealeuse.







En entrant, un canon de fusil se colla contre ma tempe, de derrière la porte, Le Faucon me tenait en joug.

-Arrête Gabriel, c’est Emmanuel, s’écria Anna.

Le métal froid s’éloigna de ma tête ; c‘était la seconde fois depuis ce matin que l‘on pointait une arme à feu vers moi. Encore tout tremblant, je demandai la raison d’un tel accueil, mon personnage me conta son récit, son épaule saignait et son visage, couvert de sueur affichait un rictus de douleur.

-Après ton départ, je suis aussi sorti marcher un peu. Les couloirs étaient déserts. A l’intérieur d’une salle je me suis fait attaquer

-Par un animal ! m’exclamai-je.

-Pas du tout. Je me suis fait attaquer par la mort.

Stupéfait par la nouvelle, je demandai au héros de continuer son récit pendant que je réparais sa description qui en effet présentait de nombreuses dégradations. D’après le portrait physique que me brossa Gabriel, il s’agissait bien d’une représentation très stéréotypée de la mort, une silhouette noire aux mains squelettiques maniant une faux.

-Alors que je m’enfuyais, elle m’a dit quelque chose que je ne comprends toujours pas. Elle m’a appelé « bûcheron ».

Effectivement je ne voyais pas la raison de ce qualificatif. Cette mésaventure avait de toute évidence été causée par le tueur en série, mais la raison pour laquelle il s’en prit à mon héros restait inconnue. Plus que jamais l’information de la dealeuse pouvait être essentielle et le combat à venir n’en était que plus important.
Faisant part à mes personnages du marché passé avec Emma, je leur exprimai mon désir de mettre un nom sur ce mystérieux auteur. Tous acceptèrent de participer, même Marie qui, toujours en colère, se contenta d’acquiescer en silence.
Afin de me remettre de mes émotions, qui depuis mon réveil, une heure auparavant, avaient été nombreuses, je me rendis à la salle de bain afin de profiter d’une douche rafraîchissante. L’eau réussit à dissoudre mes doutes et je retrouvai confiance, depuis mon arrivée dans ce monde, je n’avais subi aucune défaite et rien n’indiquait que cela commencerait aujourd’hui.



L’heure du rendez-vous approchait et nous étions déjà devant les habitations de tôles. Notre guide, une héroïne ressemblant trait pour trait à la dealeuse, nous conduisit à l’écart des autres auteurs, vers des pièces presque totalement vides. Dans l’une d’elles se trouvait notre homme ; il patientait dans un coin, appuyé contre un mur, absorbé dans un gros livre dont la couverture portait en lettres d’or le nom d’un héros : « Arsène Lupin ». L’écrivain releva la tête en nous entendant approcher, il ôta son chapeau pour nous saluer et, d’un geste de la main, nous indiqua une porte :

-J’ai déjà préparé l’arène à ma guise comme les termes de l’accord le précisaient, dit-il d’une voix posée, je vous expliquerai les détails une fois que nous y serons.

Puis, se tournant vers moi, il interrogea le clone :

-Qui est ce jeune homme ?

-Il s’agit du champion de ma maîtresse, répondit la fausse Emma d‘un ton monocorde. Il se battra à sa place.

Ne trouvant rien à redire, Maurice Leblanc nous conduisit dans une salle adjacente ; là nous attendait déjà un personnage. De haute prestance, l’homme, vêtu d’un élégant smoking noir et d’un haut de forme, nous dévisagea un par un, s’attardant tout particulièrement sur ma guerrière. Derrière lui, deux fauteuils faisaient face à deux grands écrans de télévision, chacun d’entre eux séparés de l’autre par une épaisse vitre teintée.

-Voici comment se déroulera le duel, déclara l’auteur, nous choisirons un héros chacun, celui-ci passera par la porte qui est là-bas. L’arène est un grand manoir où se trouve un masque ; le premier des deux héros qui volera et le ramènera obtiendra la victoire.

Pour la première fois depuis mon arrivée, les règles du combat changeaient légèrement, il ne s’agirait pas là d’un affrontement à mort mais bel et bien d’une course. Evidemment pour ce genre d’épreuve le seul de mes personnages capable de faire face était Anna, laquelle devait normalement posséder les caractéristiques d’un assassin et donc, je l‘espérais, quelques -uns des talents nécessaires à une cambrioleuse, entre autres la discrétion. Bien sûr, de l’autre côté, Leblanc choisit d’envoyer son maître voleur. Mon adversaire et moi nous installâmes chacun dans un siège ; devant nous l’écran allumé permettait de voir notre héros à la troisième personne.



lundi 18 août 2014

Anna



7




ELLE aura 17ans, 1mètre 75, une silhouette élancée, un corps magnifiquement sculpté à la musculature fine, des cheveux mi-courts châtains, ébouriffés, un visage harmonieux, des pommettes hautes, des yeux verts, une bouche en cœur, un sourire enjôleur. Jalouse, protectrice, susceptible, belliqueuse, suspicieuse, un brin autoritaire, faisant difficilement confiance, voilà à peu près les principaux traits de son caractère.
Originaire des ghettos de l’ex Paris, rebaptisés « usine 6 » aux alentours de l’année 2200, elle apprit à se battre dès son plus jeune âge. Le combat faisait partie de sa vie, d’autant plus que dans les quartiers il n’y avait pas vraiment autre chose à faire ; le respect, l’autorité, tout s’obtenait par les affrontements. Son agilité et ses talents de combattante lui valurent d’être souvent désignée pour effectuer les missions d’assassinat qui nécessitaient une grande discrétion, et ses atouts physiques en firent une espionne très efficace, surtout auprès des gangs dont le chef était un homme.
Elle avait toujours mené à bien ses missions. Il lui fallait aussi un nom, voyons voir, Anna, oui, elle se nommerait Anna. Il ne restait plus qu’une petite introduction dans ce monde. « Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Anna était encadrée par deux inconnus. Le premier, un grand type au visage sévère la lorgna du coin de l’œil avant de se replonger dans son assiette de pâtes. L’autre en revanche la fixait, immobile. Ne les laissant pas intimider, Anna soutint son regard, plongeant ses yeux dans les siens. La confrontation durant bien plusieurs minutes, aucune des deux ne sourcilla. »



Je m’attardai sur encore sur quelques petits détails avant d’observer le résultat ; assise sur une chaise, elle continuait son duel avec Marie, les deux femmes se toisaient durement, se concentrant pour ne pas détourner, ne serait-ce qu‘une seconde, leur regard.
Je me levai et me plaçai entre elles, les obligeant à cesser leur duel. Mon attention se porta sur ma nouvelle héroïne, je ne pensais pas l’avoir faite si voluptueuse, sa poitrine était serrée dans une tenue de cuir moulante, une bouche sensuelle et un regard envoûtant venaient compléter le tableau, et rester là à la regarder tenait presque de la torture physique. Elle présentait, tout comme Marie, un physique avantageux dont je ne l’avais pas volontairement pourvue. Elle était magnifique certes, mais peut-être un poil trop affriolante et ne ressemblait pas vraiment à une combattante censée s‘être battue pour survivre, enfin, je n‘allais pas m‘en plaindre, loin de là….Je réduirais tout de même son tour de poitrine ainsi que sa tenue vestimentaire afin qu‘elle ne ressemble plus à une cowgirl.
Une fois les présentations terminées, un rendez-vous s’imposait, rendez-vous dont je me serais bien passé : la correction. Aucun de nous n’avait envie de retrouver ces héros effrayants, seule la nouvelle restait calme, ne sachant pas encore à quoi s’attendre. Bien que cela paraisse très lâche, lorsque l’infirmier nous demanda si nous désirions attendre dans une autre salle, Gabriel, Marie et moi nous empressâmes d’accepter, laissant Anna seule face à ces monstres.


Cette fois, l’entretien ne dura que quelques minutes, après quoi l’héroïne ressortit, une dague à la main, elle affichait une expression dure.

-Ne t’avise plus jamais de m’envoyer avec des types comme eux, lâcha-t-elle, ou cela risque de très mal se passer pour toi.

Je me risquai à glisser un coup d’œil dans la salle de correction, les corps des deux correcteurs gisaient par terre, un bras à aiguilles était planté dans un mur tandis qu’une dizaine de bouches ornées de crocs acérés couvraient le corps inerte de l’un d’eux. Horrifié, je m’apprêtais à sermonner Anna, mais le regard noir qu’elle me jeta m’ôta toute envie de la réprimander.

-Ne vous en faites pas, nous rassura l’homme en blouse blanche, ce genre de chose arrive très fréquemment, beaucoup de héros ne supportent pas leur méthode.

Peu convaincu, je me résignai tout de même à oublier l’idée de faire corriger l’héroïne.



Notre nouvel objectif était de trouver un nouvel adversaire, histoire de voir comment la nouvelle se débrouillait. Pour une fois, nous dénichâmes rapidement un auteur acceptant un affrontement .Il nous mena dehors et désigna une zone de combat de taille impressionnante dont les limites restaient invisibles de là où nous nous trouvions.
Puis, à sa demande, mes trois personnages et moi-même nous engageâmes dans l’arène et nous préparâmes. Marie, ajustait sa tenue afin qu’elle ne limite pas ses mouvements, le faucon vérifiait son sniper ainsi que ses pistolets. Quant à la nouvelle, elle s’était assise en tailleur et observait ses compagnons, pensive, il ne me semblait pourtant pas lui avoir donné ce trait de caractère. Vérifiant tout de même dans son cahier, je ne trouvai aucune phrase justifiant son comportement, bien que je l’aie faite calculatrice, très rusée et capable d’effectuer des plans d’attaque compliqués, peut-être faisait-elle exprès d’affecter cette attitude afin de tromper ses futurs adversaires.

-Euh patron, ce n’est pas dans mes habitudes de me plaindre mais je ne suis pas sûre que l’endroit soit parfait pour moi.

En effet, nous nous trouvions au milieu d’un bosquet, pas vraiment l’endroit idéal pour un tireur d’élite.

-Il faudrait trouver un poste d’observation, nota Marie, ou un truc dans le genre .Anna, bouge un peu, tu ne seras pas de trop pour nous aider.

Celle-ci ne répondit pas ; observant attentivement le terrain, elle finit par pointer du doigt une colline surplombant les autres.

-Le faucon, articula-t-elle rapidement, tu te postes en haut et tu tires sur tous les ennemis que tu aperçois. Marie, tu défends la base, il ne faut pas que Gabriel se fasse attaquer. Moi, j’essayerai de les prendre à revers en faisant le tour. Quant à toi Emmanuel, tu montes avec Gabi et tu crées n’importe quoi pour nous défendre.

C’était la première fois que je prenais part au combat, vu la taille de l’arène, j’avais dû y entrer moi aussi afin de mieux voir ce qui se passerait. Marie voulait protester mais déjà nous étions partis, la colline n’était pas loin et nous y fûmes en quelques minutes. Une fois en haut, nous constatâmes qu’elle était le point le plus haut de la zone et que, au loin, une horde d’hommes armés patrouillaient à notre recherche - j’en dénombrai une dizaine- armés d’épées, d’arbalètes ou de lances.

-Gabriel, ordonnai-je, à toi de jouer.

Opinant en silence, il s’accroupit dans l’herbe grasse, arma son arme et visa. Toucher une cible en mouvement à cette distance était une tâche ardue, comme je le craignais, la première balle arriva au pied d’un des ennemis sans cependant le toucher. Le Faucon jura d’un ton rageur puis se remit en position .Effrayé par l’attaque, le groupe cherchait d’où provenait le tir et ne pensait même pas à se mettre à couvert, cette erreur grave coûta la vie à l’un d’entre eux qui, touché au thorax, s’effondra, un deuxième homme le suivit rapidement.
Ayant finalement repéré le tireur, l’un d’eux courut en arrière, sûrement pour prévenir ses camarades, qu’il avait trouvé leurs adversaires, quant aux autres, ils profitèrent de la protection d’un bosquet d’arbres non loin pour se protéger.

-J’y vais, annonça Anna.

-Mais ils sont bien plus nombreux que nous, objecta Marie, seul, tu ne pourras rien faire.

Ignorant encore une fois son interlocuteur, elle descendit la colline à toutes jambes et se mit en route, effectuant un large détour afin d’arriver dans le dos des guerriers. Il était temps pour moi d’organiser un peu mieux notre camp ; m’asseyant sur un rocher proche, j’entrepris de créer une petite muraille permettant au faucon ainsi qu’à Marie de se protéger au cas où des flèches, si flèches il y avait, arriveraient jusqu’ ici. Ce n’était certes pas grand chose mais, dans l’état actuel des choses, c’était la seule chose qui me paraissait utile. De leur côté, le petit groupe dissimulé dans le petit bois préparait aussi une défense rudimentaire, arrachant quelques branches pour fabriquer des abris de fortune. Je ne voyais Anna nulle part, à peine arrivé en bas de la colline, elle avait foncé parmi les arbres. Ma guerrière s’était assise par terre et semblait attendre de se rendre utile ; m’approchant, je m’assis à ses côtés.

-Qu’est-ce que tu fais ? Demandai-je, ça ne te ressemble pas de rester comme ça, seule, silencieuse.

Ma question ne parut pas l’atteindre. Alors que j’oubliais l’espoir d’une réponse, celle-ci arriva.

-Tu crois qu’on a une chance ? murmura-t-elle.

-Mais bien sûr, rétorquai-je, ne me dis pas que tu crains une horde de sauvages !

-Non, bien sûr. Mais la suite, la grande bataille, tu crois pouvoir gagner ?

Ne me sentant pas de lui mentir, je répondis franchement :

-Je ne crois pas, non. Des milliers d’auteurs vont se battre et bon nombre d’entre eux sont bien plus talentueux que ceux que l’on a vus jusqu'à présent. Mais j’espère tout de même tenir le plus longtemps possible, de toute façon, le moment est mal choisi pour douter, pour l’instant, occupons-nous de ce combat. Vu comme c’est parti, je sens que nous allons y passer un certain temps et tu vas avoir besoin de toute ta tête.

Tentant de la réconforter, j’entourai mon bras autour de ses épaules et, aussitôt, elle se blottit contre moi. Nous fûmes tirés de cette étreinte par Gabriel qui nous faisait signe de le rejoindre. Loin devant nous, là où était apparu le groupe d’éclaireurs, une véritable tribu se montra, composée d’une trentaine de personnes ; d’après ce que j’apercevais, tous étaient vêtus de tuniques légères, ils rejoignirent à toute vitesse le « bosquet-base », perdant sur le chemin quatre guerriers. Le faucon tirait avec une précision parfaite et, mis à part son premier coup, chaque tir se soldait par un ennemi de moins.

-Bon, dit Gabriel quand les ennemis furent hors de portée de tir, j’ai vu dans la troupe le gars qui vous a défié, patron.

- Appelle-moi Emmanuel, patron c’est marrant un moment.

-On est fichus, lâcha Marie, ils sont trop nombreux.

Sans lui répondre, je retournai m’asseoir sur ma pierre et commençai à créer toute une série de pièges basiques destinés à ralentir une éventuelle attaque ; des pièges à loups, des fosses et des rochers prêts à tomber apparurent au pied de notre camp. Que faisait Anna ? Je doutais qu’elle puisse abattre cette troupe à elle toute seule. Les heures s’écoulèrent sans que rien ne bouge; nos ennemis, regroupés dans leur camp, préparaient leur prochaine attaque. De notre côté, ma guerrière commençait à s’impatienter et je peinais à la convaincre de rester là à ne rien faire.

-Je tourne en rond, se plaignait-elle, la nuit va bientôt tomber et on n’a pas avancé d’un pouce !

En effet, le soleil descendait doucement dans le ciel, bientôt la nuit arriverait et les difficultés aussi. Finalement, au crépuscule, alors que l’astre solaire dessinait dans le ciel une flopée de couleurs, des cris retentirent, le bosquet s’anima, deux imprudents se risquèrent hors de la protection formée par le feuillage des arbres, ce qui leur fut fatal. Deux tirs, deux morts. Bientôt le calme revint et, lorsque le jour fit place à la nuit, on aurait dit que rien ne s’était passé, j’étais cependant persuadé qu’Anna était pour quelque chose à cette agitation. Ouvrant son cahier, je tressaillis en découvrant les pages parsemées de déchirures et de taches d’encre, mon héroïne était assez gravement touchée. Alors que les premières étoiles apparaissaient timidement dans le ciel, des gémissements nous parvinrent depuis le bas de notre colline. M’approchant doucement, je découvris Anna, gisant à terre, salement amochée. Avec l’aide de Marie, nous le remontâmes à l’abri avant de l’allonger avec précaution sur l’herbe.

-Qu’est ce qui s’est passé ?demandai-je.

-Pas grand-chose, j’ai essayé de m’infiltrer discrètement mais ça a un peu raté. Je pensais que chaque personne était un héros, mais en fait, tout cette armée n’est qu’un seul et même personnage, du coup, si l’on en tue un, les autres sont au courant.

-Patron !cria le faucon, ils sortent de tous les côtés !

C’était bien le moment ! Après m’être assuré que la blessé tiendrait le coup, j’ordonnai à Marie de descendre au pied du camp et d’éliminer quiconque tentait de passer. De mon côté, je commençai à créer des torches, disséminées sur tout le flanc de la colline et même après pour permettre au sniper d’avoir une visibilité correcte. Quand ce fut fini, je me plaçai derrière la muraille et observai la masse se dirigeant vers nous. Ils avaient déjà parcouru la moitié du chemin et s’apprêtaient à entrer dans la zone ou j’avais disposé mes pièges. Ne prenant pas la peine de réfléchir, beaucoup d’entre eux se firent avoir par les pièges à loup et les fosses à pieux. Malgré cela, il en restait encore une bonne trentaine et Gabriel eut beau tirer, leur nombre ne semblait pas diminuer ; ils marquèrent toutefois une pause face à la guerrière armée de cimeterres, étonnés sans doute de ne trouver qu’une garde.
Malheureusement, l’étonnement ne dura pas et, rapidement, ils repartirent à l’assaut, armes levées, en signe de défi, le premier à s’élancer fut stoppé net dans sa course : deux plaies sanglantes s’étaient ouvertes sur son ventre, et avant de s’être rendu compte de ce qu’il s’était passé, il tomba mort. Affolé face à cette adversaire qui leur semblait soudain plus terrifiante, le groupe décida d’attaquer à plusieurs, tentant d’encercler la combattante afin de l’assaillir de tous les côtés.
Au début, Marie n’eut aucune difficulté à parer les attaques, mais peu à peu, la fatigue se fit ressentir, ses gestes devinrent moins précis, ses coup moins puissants, ses déplacements moins vifs. Une première blessure s’ouvrit à son épaule droite puis une nouvelle à la cuisse, malgré les tirs incessants de Gabriel, mon héroïne finit par prendre la fuite.
Le combat se déroulerait donc ici, et je devrais également me battre pour survivre à cette horde. N’ayant aucune arme, j’attendais, effrayé, l’arrivée des ennemis. Mon attente ne fut pas longue, en moins de cinq minutes, les premiers poursuivants se montrèrent.
Marie courait à perdre haleine, sa blessure à la jambe l’empêchait de distancer ses adversaires. Peu à peu, son avance diminuait et dans quelques secondes, ils seraient sur elle.
Agissant instinctivement, mes jambes se mirent en mouvement, un cri rauque sortit de ma bouche, des chaînes de fer apparurent dans mes mains, chacune d’elles se terminait par une lame argentée. Je m’arrêtais à trois mètres des attaquants, fis tournoyer mes armes au-dessus de ma tète de plus en plus vite et les abattis en direction de la troupe. Deux cadavres s’effondrèrent, une lame profondément enfoncée dans leur corps. Je tirai sèchement sur les chaînes, afin de dégager les dagues, et de porter une nouvelle attaque ; un nouveau guerrier s’écroula.
La guerrière se retourna soudain, un ennemi tenta de la trancher en deux, son épée rebondit sur son bras sans y laisser la moindre trace : le tatouage divin constituait une bonne défense. Aussitôt, cette dernière contrattaqua violemment, ne laissant aucune chance au malheureux. Gabriel avait changé de technique. Après avoir déposé son sniper, il dégaina ses pistolets et tira dans le tas, il ne resta finalement de l’armée qu’un tas de cadavres.
Une lointaine sonnerie retentit, l’affrontement était enfin terminé. Extenués, nous regagnâmes le salon en silence, Gabriel soutenait Anna et je soutenais Marie. Comme de coutume, les tables étaient quasiment toutes occupées.
S’affalant sur une chaise, la blessée sombra presque immédiatement dans un profond sommeil, je commandai un effaceur et du scotch puis commençai à réparer le cahier bien amoché, ce qui eut pour effet de faire disparaître les lésions. Je savais qu’une question brûlait les lèvres de Marie mais fort heureusement, celle-ci attendit que j’en eus fini avec sa compagne pour m’interroger.

-Comment as-tu fait, demanda-t-elle froidement, d’où sors-tu ces armes, je ne t’ai pas vu les écrire pendant le combat.

En guise de réponse, je sortis du sac contenant mes affaires d’écriture un cahier sur lequel était écrit en gros le nom « Emmanuel ».Ouvrant de grands yeux étonnés, elle me demanda d’une voix hésitante :

-Tu n’as pas…je veux dire, ça, ce n’est pas…

-Si, la coupai-je, c’est moi, ce livre est ma description, ce qui signifie que je suis un de mes héros.

-Ingénieux, murmura Gabriel.

Marie, elle, n’était pas de cet avis. Se levant d’un bond, elle s’écria :

-Tu es complètement fou ! Si tu te faisais tuer, comment feras-tu, et comment ferons-nous ?

Je comprenais ses craintes, un auteur prenant directement part au combat avait plus de chance de se faire tuer, dans ce cas-là tous ses héros disparaîtraient, lui avec. Mais ma décision était prise, lors de la grande guerre, certains écrivains attaqueraient directement les auteurs, sachant que ce sont eux les plus faibles

-C’est trop tard, dis-je gravement, tu dois faire avec.

Considérant la discussion comme terminée, je me levai et retournai dans notre chambre. M’asseyant au bureau, je me « continuais », améliorant certains points, changeant complètement d’autres. Les lames accrochées aux chaînes gagnèrent en taille et en beauté ; je les dotai de reflets argentés, les chaînes elles-mêmes devinrent d’argent, brillant également, je renforçai également mes protections avec des plaques métalliques au niveau des parties exposées en combat.
Les idées fusaient dans ma tête, le flot ne tarissait pas, mais, finalement, rattrapé par la fatigue, je m’endormis sans avoir pu tout mettre à l’écrit. Une pensée me traversa : que faisais-je dans le monde réel ? Que s était-il passé depuis mon arrivée ici ?cette pensée s’en alla très vite ; quoi que je fasse sur Terre, c’était sans aucun doute moins intéressant que tout cela.







Anna

Le monde s’embourbait un peu plus chaque jour ; les villes cédaient leur place à d’immenses zones industrielles, les gouvernements parquèrent les populations dans des ghettos délabrés, bref, tout se barrait en couille de la pire manière qui soit. C’est dans cette ambiance du genre post-apocalyptique que vint au monde Anna, en l’an 2360
La vie était assez rude et élever un enfant devenait une véritable épreuve quotidienne, les vivres venaient quelquefois à manquer, les logements, et même tous les bâtiments existants, tombaient littéralement en ruine, et il arrivait que ces ruines tombent sur des gens, les maladies les plus graves avaient disparu mais celles qui subsistaient restaient mortelles pour un nouveau-né.
Anna savait courir avant même de savoir parler, en effet, lorsque l’on vole de la nourriture à quelqu’un, il est nécessaire de posséder de bonnes jambes et de savoir s’en servir. Avec ses deux sœurs, elle dormait là où le vent les menait, littéralement parlant puisque le quartier où elles étaient se trouvait être en bordure de la banlieue et donnait directement sur « le monde extérieur », une immense étendue aride où la terre sèche et craquelée ne portait aucune trace de végétation.
Le vent parcourait donc librement se désert qu’était l’extérieur, et de fortes bourrasques s’engouffraient entre les immeubles, amenant avec elles de nuages de poussière, le vent soufflait parfois tellement fort qu’il empêchait même les gens de faire un pas en avant, aussi les jeunes filles couchaient-elles là où les rafales ne pouvaient les atteindre.
Mis part ces détails, l’enfance d’Anna fut relativement normale, sa mère fut enlevée par les messagers de la mort lors d’une de leurs rafles, elle servait maintenant d’esclave à l‘armée gouvernementale. Quant à son père, la dernière fois qu’Anna le vit, il se portait très bien et courait à toute vitesse afin d’échapper aux mercenaires, laissant ses filles comme appâts afin de pouvoir s’enfuir.
Par la suite, la vie fut clémente envers les trois enfants Quand elle eut 12 ans, la plus grande des trois se fit remarquer par le chef de gang du quartier, lequel décida de les prendre, elle, Anna et son autre sœur, sous son aile. Il s’agissait d’un homme d’une trentaine d’années, au corps massif et qui dirigeait le quartier d’une poigne de fer. Ainsi, sous la tutelle d’Edmond, les enfants purent grandir en toute liberté ; nourries, logées et blanchies, elles n’eurent plus à voler pour subsister et ne s’inquiétaient plus de trouver un toit à l’abri du vent pour passer la nuit. Quand elle eut à son tour 12 ans, Anna se battait déjà contre des garçons plus âgés et finissait toujours vainqueur. Avec les années, son style continua de s’améliorer, mais son talent pour le combat ne fut pas la seule chose à se développer. Son corps devenait peu à peu celui d’une femme, ses traits s’affinèrent, ses pommettes hautes mettaient en valeur ses grands yeux verts, sa chevelure châtain et sa bouche en cœur finissaient de rendre son visage irrésistiblement beau. Au contraire de ses sœurs, qui héritèrent de mensurations plus que généreuses, Anna développa une poitrine moins opulente mais sublimement galbée et de jambes longues et élégantes. Ses combats quotidiens l’avaient dotée d’une musculature fine qui n’enlevait rien à son charme.
Evidemment, avec un tel physique, elle fut très tôt choisie pour exécuter des missions d’infiltration auprès des gangs adverses. D’abord hésitante, Anna se prit au jeu d’espionne et mit au point des techniques de collecte d’informations extrêmement efficaces, et quand les choses tournaient mal, généralement à cause des femmes des quartiers infiltrés, elle pouvait compter sur sa maîtrise du corps à corps pour venir à bout de ses adversaires.
De manière générale, Anna affichait toujours un sourire enjoué et un regard pétillant de vie, elle se comportait comme une enfant, ce qui lui valut le surnom affectif d’éternelle « gamine ». Mais cette attitude constituait un masque qui cachait une personnalité plus complexe ; en vérité, Anna se trouvait être extrêmement méfiante, démesurément jalouse et protectrice et également très susceptible. Gagner sa confiance tenait de l’exploit, et si quelque chose ne lui convenait pas, elle n’hésita pas à rapidement en venir aux mains. Parfaitement consciente de ses atouts, elle n’hésitait pas à en jouer plus que nécessaire et prenait un malin plaisir à séduire les hommes qui l’entouraient. À l’âge de vingt ans, Anna était connue sous le surnom de « l’amante » et même si sa réputation de croqueuse d’hommes la précédait, ses cibles tombaient toujours dans ses filets et elle parvenait presque toujours à accomplir ses missions.
Après l’assassinat d’Edmond, la sœur d’Anna devint la nouvelle chef du quartier et fit de sa petite sœur son bras droit. Cette promotion acheva d’élever Anna au rang de légende vivante, et dans les factions alentour, le nom de l’amante était associé à une combattante hors pair dont la férocité n’avait d’égal que sa beauté.