vendredi 29 août 2014

Mort


Soudain Gabriel fit brutalement irruption dans la pièce, renversant plusieurs auteurs et faisant un si grand boucan que tous les regards se posèrent sur lui. En voyant son visage, je pus y lire un sentiment nouveau, de la peur.
Lui qui d’habitude restait de marbre devant toutes les situations affichait maintenant un faciès déformé par la terreur. Ses yeux, fuyants, vagabondaient à toute vitesse, cherchant une échappatoire, ne prêtant pas d’attention aux personnes qu’ils venaient de faire tomber, le Faucon poursuivit sa course. Quelques secondes s’étaient écoulées depuis l’entrée fracassante du héros, les écrivains qui se relevaient furent de nouveau jetés au sol par un nouveau personnage. Son identité ne laissait aucun doute, une longue robe de tissu noir déchiqueté, un capuchon recouvrant un crâne humain, des mains squelettiques maniant une grande faux, Gabriel fuyait la mort.
Afin de faire gagner un peu de temps à mon personnage, je lançai mes dagues sur son poursuivant, dans un craquement sinistre, les lames traversèrent le maigre vêtement et se bloquèrent dans les os nus de la faucheuse. Sans aucun signe apparent de douleur, la Mort extirpa mes armes de sa cage thoracique et continua sa traque, sans plus se soucier de moi. Mais Gabriel, en jetant un regard derrière lui, se rendit compte de ma présence, ce qui sembla lui redonner courage, ses traits se détendirent l’espace d’un instant, juste avant de se rendre compte que le squelette en haillons le talonnait toujours. Avant d’avoir pu tenter quoi que ce soit de nouveau, déjà les deux héros disparaissaient dans une autre salle, je m’élançai à leur poursuite, bien décidé à aider mon personnage qui de toute évidence ne s’en sortirait pas seul.
Cependant les deux « hommes » couraient à une telle allure que je peinai à les rattraper, trois pièces plus tard, le sniper s’arrêta quelques secondes, hésitant quant à la prochaine porte à prendre. Le spectre macabre profita de l’occasion et lança sa faux vers l’indécis :

-Gabriel ! Hurlai-je à pleins poumons.

Averti à temps, le tireur d’élite réussit à éviter l’arme qui tournoya jusqu’à deux femmes qui se trouvaient là par hasard. La lame les traversa toute les deux sans les blesser et se ficha dans la paroi derrière elles. Stoïques, les deux auteurs restèrent debout quelques secondes avant de s’écrouler, pâles, le regard vide, et morts.

Au même moment j’emprisonnai le tas d’os entre mes chaînes, bloquant ainsi le moindre de ses mouvements. Le faucon comprit mes intentions et sortit ses berettas, les pointant sur le prisonnier ; il le cribla de balles jusqu’à ce que ses chargeurs soient vides, mais les projectiles traversaient sans difficulté le corps osseux de la mort et continuaient leur chemin. Malheureusement je me trouvais en plein milieu de leur trajectoire et dus me jeter au sol afin d’éviter les tirs de mon propre héros. Mon étreinte se relâcha et la fossoyeuse s’étala par terre. Des morceaux d’os couvraient le sol ; affaissée sur elle-même, la mort ne bougeait plus, mais cette immobilité ne dura pas longtemps, le tas de haillons se redressa, le squelette à moitié en miettes s’anima, son bras droit détruit, elle prit sa faux dans l’autre main et marcha dans ma direction. Rechargeant ses pistolets, Gabriel tira une deuxième salve qui, comme la première, transperça la Mort pour aller finir leur course dans le mur, après m’avoir obligé une seconde fois à plonger au sol. Sans se presser, la faucheuse s’avançait, un quart de son crâne avait explosé à cause des balles, mais malgré cela l’orbite vide qu’il lui restait me regardait, dans un mouvement lent, la faux se leva ; acculé contre un mur, je ne pouvais fuir nulle part. Je levai mes dagues, me préparant à bloquer la lame en croissant de lune, mais, lorsque le coup arriva, l’acier traversa mes armes et mon corps avant de se planter dans le sol. J’avais froid, mes membres devenaient lourds, engourdis, face à moi le crâne se reconstituait, les mâchoires s’écartaient, une voix suintante siffla :

-Que faut-il faire, bûcheron ?

Mon champ de vision s’obscurcissait, réunissant mes derniers éclats de lucidité je m’accrochai encore un peu à la vie. Dans le néant qui m’entourait une voix parvint jusqu’à moi :

-C’est afin de m’aider à recharger ce bois ; tu ne tarderas guère, le trépas vient tout guérir .Mais bougeons d’où nous sommes, plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes !

Sans un bruit, le spectre s’évapora, le froid glacial qui me gagnait peut à peu reflua. L’engourdissement disparut également et je récupérai l’usage de mon corps. Dans la salle il ne restait aucune trace de la figure macabre, mon héros accourait vers moi et m’aida à me relever, suivi d‘une autre personne que je ne connaissais pas. Durant plusieurs minutes, je reprenais mes esprits sans prononcer le moindre mot, le nouvel arrivant profita de mon silence pour se présenter :

-Je m’appelle William, je suis un auteur au service de l’administration. Tu as de la chance que j’ai pu te sauver, un peu plus et tu y passais !

-Mais comment l’avez-vous fait partir ? Demanda Le Faucon

-Grace à un message qui nous est parvenu ce matin même d’un auteur, le message contenait les initiales du tueur en série. Grace à notre base de données nous avons pu trier les suspect. Le nombre d’auteurs dont les initiales sont J.L est assez important mais si l’on cherchait les auteurs utilisant des animaux et la Mort il ne restait plus qu’un résultat.

Reprenant vie, je me redressai et toisai mon sauveur d’un regard avide :

-Et alors, qui est-ce ? Trépignais-je

-Il s’agit de Jean de Lafontaine, le fabuliste de 17ème siècle. Pour vaincre ses personnages, il suffit de réciter la fin de la fable d’où ils sont issus.



Mon moment d’excitation céda rapidement à un nouvelle vague de fatigue, la mort m’avait frôlé, encore quelques secondes de plus dans son étreinte et c’en était fini de moi. Malgré tout une pensée me réconfortait, l’affaire du tueur en série était élucidée et je n’aurais plus à frissonner au moindre bruit de pas dans mon dos. Gabriel me soutenait afin de m’empêcher de tomber, mes jambes tremblaient et refusaient de me soutenir, plusieurs éraflures couvraient mon épiderme sans compter une longue brûlure là où la faux m’avait traversé.

-Ce n’est peut-être pas le moment mais il faudrait que vous me suiviez jusqu’à mon bureau afin de répondre à quelques questions.

Je m’apprêtai à répondre mais tout ce qui sortit de ma bouche fut un long gémissement inarticulé, une secousse parcourut l’ensemble de mon corps et je m’effondrai par terre. La douleur dans ma poitrine reflua puis disparut, les coupures et les égratignures se faisaient littéralement dévorer par ma peau, celle-ci, frémissait et recouvrait la moindre de mes blessures. L’opération n’avait duré que quelques secondes qui parurent durer des heures entières, à la fin, rien ne laissait supposer mon précédent combat contre la mort, une énergie nouvelle coulait dans mes veines.
Rassurant mon héros qui, en me voyant tomber, n’avait rien pu faire, je répondis à mon sauveur de nous ouvrir le chemin. Mettant de côté son étonnement, il nous amena hors de la salle dévastée, jusqu’à un couloir particulièrement animé dont les murs étaient percés, à intervalles réguliers, de portes en bois peintes en gris clair et portant des plaques en fer comportant un nom et un prénom. Le dit bureau où nous fit entrer l’auteur n’avait rien de bien particulier, une petite table calée au fond de la pièce était recouverte de dossiers, des cartons encombraient l’essentiel de l’espace, formant des structures improbables à l’équilibre précaire. Un pupitre, totalement libre de paperasse, occupait un autre coin de l’office, William s’y attabla et sortit du papier vierge avec de quoi écrire.

-Alors, déclara-t-il d’une voix forte en se penchant sur sa feuille, je vais passer les formalités pour me diriger immédiatement vers ce qui nous intéresse. Emmanuel, c’est bien toi n’est-ce pas ?

J’opinai du chef, il continua :

- Tout d’abord, fais-tu partie du groupe de poètes indépendantistes qui essaye de saboter l’administration depuis un certain temps ? Je me doute que, en temps normal, si tu en faisais partie, tu ne me le diras pas, mais vu ce qui vient de se passer j’espère vraiment que tu parleras franchement.

-Je ne fais partie d’aucun mouvement indépendantiste, et d’aucun mouvement de manière générale.

-Bien, autre chose, es-tu un poète ?

-Vous êtes la deuxième personne à me poser cette question, non, je n’écris pas de poèmes, de sonnet ni aucun texte en vers.

L’agent notait soigneusement chaque mot de notre conversation, lors de ma dernière réponse, il releva la tête, son regard s’éclaira d’une flamme intéressée :

- Tu me dis qu’une première personne t’a déjà posé la question, saurais-tu me dire qui elle est ?

- Je ne connais que son nom, Emma.

Piqué au vif, le jeune homme bondit de sa chaise et courut plus qu’il ne marcha vers son bureau, là, fouillant au milieu de colonne de chemises, il sortit un dossier et le parcourut fiévreusement :

- Est-ce qu’il s’agit d’une trafiquante de personnages se trouvant dans le hall principal ?

-C’est bien elle.

-Il s’agit de la 7 ème victime du tueur.

-7ème ? M’exclamai-je en ouvrant de grands yeux étonnés, mais jusqu’ à présent…

-Toutes les morts n’ont pas étés rendues officielles, toujours est-il que cette femme s’est fait tuer hier soir, comme un autre auteur d’ailleurs.

J’hésitai à lui dévoiler tout la vérité au sujet de la dealeuse, mais si je ne faisais rien, elle resterait enfermée dans son coffre-chambre durant encore longtemps. Me décidant à tout raconter, j’expliquai à William tout ce que je savais et, après avoir répondu à quelques autres questions, il nous laissa repartir, Gabriel et moi. Alors que nous quittions le bureau une personne ouvrit la porte à toute volée, manquant de peu de me renverser, L’homme, d’une corpulence impressionnante, ne prit pas le temps de s’excuser et s’adressa directement à son collègue :

-Depuis ce matin quatre auteurs ont trouvé la mort.

-Tiens, moi aussi, je l’ai croisée tout à l’heure.

Le colosse jeta un regard colérique au jeune garçon et se força à garder son calme :

-Non, articula-t-il lentement, je voulais dire que ces personnes sont décédées suite à l’attaque du tueur en série.

- Ah. Autant pour moi.

L’auteur esquissa un sourire provocateur, ce qui finit d’énerver le géant qui se mit à beugler :

-Comment peux-tu rire de tout ceci ? Je ne vois pas ce qu’il y à de drôle dans le fait qu’un meurtrier coure les couloirs sans que nous puissions l’arrêter !

-C’est exact, cela n’a rien de drôle, mais rassure-toi, il y a peu de chance que les meurtres se poursuivent, je me rendais de ce pas dans le bureau du chef pour lui faire un rapport sur l’identité du tueur en série.

La phrase décontenança l’homme qui, pris de court, s’en alla en grommelant contre l’écrivain.

-Ne t’inquiète pas, il aboie beaucoup mais ne mord pas. Retourne à ta chambre, désormais tout est sous contrôle, nous allons arrêter La Fontaine et cette affaire sera enfin terminée. Encore merci pour ta coopération et pour les informations que tu nous as fournies. Je ne sais pas si tu seras récompensé mais sache que si un jour tu as besoin de quelque chose je me ferai une joie de te rendre la pareille.

Dans le couloir, la foule était en plein effervescence, la nouvelle sur l’identité du tueur en série se répandait comme un nuage de poudre, lorsque William quitta son bureau, tous les regards se posèrent sur lui, toutes les discussions cessèrent dans la seconde. L’ambiance devenait de plus en plus pesante, personne n’osait demander la confirmation de la rumeur qui courait, profitant de l’immobilité générale, je me faufilai jusqu’à la porte de sortie et repris le chemin des chambres.




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