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La nuit fut
particulièrement agitée, des cauchemars entrecoupaient mon sommeil,
me faisant me réveiller en sursaut, couvert de sueur, haletant et le
cœur battant à toute vitesse. Finalement, après un quatrième
mauvais rêve particulièrement troublant, je choisis de rester
éveillé et d’attendre l’heure où la porte de la chambre se
déverrouillait.
Lorsque je sortis de
l‘appartement, tous mes héros dormaient encore. Jamais les
couloirs ne me parurent aussi vides, seuls quelques auteurs les
arpentaient en affichant une mine peu réveillée et traînant les
pieds, il ne fallait pas se leurrer, je devais être dans le même
état qu’eux. Mes pas me conduisirent tout droit vers la pièce
gargantuesque où se trouvaient les dealers, l’hôpital et le
classement des auteurs. Malgré l’heure matinale, les « vendeurs »,
postés devant leurs petits bidonvilles personnels, attendaient,
patiemment, un éventuel client. En revanche, celle avec qui je
m’étais entretenu quelques jours auparavant manquait à l’appel ;
plus inquiétant, l’entrée de sa cabane se trouvait entourée de
rubans jaunes sur lesquels les mots « interdiction d’entrer »
étaient inscrits en gros caractères. Profitant qu’il n’y ait
presque personne dans la salle, je me glissai derrière la planque et
pénétrai à l’intérieur par la porte dérobée qui m‘avait
servi d‘échappatoire la première fois.
Tous les livres
jonchaient le sol, des morceaux de bois, appartenant sûrement à la
bibliothèque, démontraient la brutalité de ce qu’il s’était
passé là ; quelques tôles manquantes permettaient à la
lumière de rentrer, dévoilant le capharnaüm, les « murs»
portaient des éclaboussures écarlates. Des feuilles piétinées et
froissées permettaient de délimiter l’endroit où avait eu lieu
ce qui semblait être un combat farouche.
Effaré, je m’apprêtais
à sortir demander aux autres dealers ce qu’il s’était passé
quand un bruit dans mon dos retint mon attention. Renversée dans un
coin, une lampe à huile répandait son contenu visqueux sur le sol ;
en m’approchant, l’objet que je croyais inanimé bondit sur moi.
Une main me saisit par la nuque tandis qu’un canon de revolver,
chargé et prêt à faire feu, se collait contre mon front ;
l’héroïne polymorphe de la dealeuse me jaugea des pieds à la
tête.
-Je suis déjà venue
voir ta maîtresse, me justifiai-je, tu te souviens ? Tu avais
ligoté mon héroïne à sa chaise.
Son arme s’éloigna de
moi, le personnage se détendit sans pour autant lâcher ma gorge
-Autant pour moi, je ne
t’avais pas reconnu. Il faut dire que lorsque nous nous sommes
rencontrés, tu étais couché face contre terre. Qu’est-ce que tu
viens faire ici ?
-A vrai dire, je me
posais la même question. Quand j’ai vu les rubans condamnant
l’entrée, j’ai voulu venir voir ce qui s’était passé.
L’héroïne me libéra
et montra de sa main libre les pages froissées et déchirées qui
ornaient le sol.
-Quelqu’un nous a
attaqués hier soir.
-Vous n’étiez pas dans
vos appartements ? M’étonnai-je.
-Nous vivons ici, notre
propriétaire est une dealeuse, et bien que ce qu’elle fait soit
autorisé, l’administration refuse de nous loger
-Et que s’est-il
passé ?
-Tu ne préférerais pas
plutôt parler directement à ma maîtresse ?
J‘acquiesçai, même si
je ne m‘attendais pas vraiment à cette proposition. La femme se
dirigea vers un coffre posé dans le fond de la salle et y frappa
d’abord trois coups rapides, puis deux autres plus espacés.
-Emma, tu as de la
visite, c’est le jeune homme de la dernière fois.
Le meuble émit un léger
cliquetis et son couvercle s’ouvrit, en regardant à l’intérieur,
je fus frappé d’y découvrir qu’une échelle de corde, attachée
au rebord en bois, plongeait dans l’obscurité
-Voilà, je te laisse y
aller, je dois rester ici afin de veiller à ce que personne ne
vienne.
Se changeant de nouveau
en lampe, Meta roula jusqu’à un coin sombre et s’immobilisa.
Toute personne entrant en cet instant ne l’aurait pas différencié
d’un objet classique. Suivant ses indications, je descendis la
longue échelle jusqu’à ce que mes pieds rencontrent le sol ;
au- dessus de ma tête, le couvercle se referma dans un grand bruit,
me plongeant dans la nuit la plus totale. Un peu plus loin, un rai de
lumière m’indiquait le chemin à prendre ; longeant un mur,
j’avançais doucement, pas après pas, jusqu’à ce qui semblait
être une porte. En ouvrant, une vague de lumière éblouit mes yeux
déjà habitués à l’obscurité.
La salle ressemblait à
un immense salon, une tapisserie florale recouvrait les murs, au
centre de la pièce trônait une grande table en bois sombre sur
laquelle étaient posés des piles de feuilles et trois livres de
personnages. Dans un coin, des canapés entouraient une cheminée où
brûlait une bûche, là se trouvait la dealeuse, entourée de deux
de ses héroïnes. En m’apercevant, elle me fit signe de la
rejoindre.
-Si je m’attendais à
ta visite, s’écria-t-elle. Quel bon vent t’amène dans mon
humble chambre ?
Devant mon visage surpris
elle rajouta :
-Tu ne pensais tout de
même pas que je dormais dans ce taudis, là-haut. C’est seulement
une sorte de bureau. Bref, dis-moi ce que tu es venu faire ici.
-Et bien, en voyant que
votre…bureau était interdit d’accès, j’ai voulu voir ce qu’il
s’était passé, c’est là que je suis tombé sur votre héroïne
qui montait la garde.
La dealeuse éclata de
rire.
-Tu n’as toujours pas
de vraie raison de me rendre visite, je veux dire autre que la simple
curiosité. Et en voyant les bandes, tu ne t’es pas dit qu’il
valait mieux passer ton chemin ? Cela dit, je suis assez
contente d’avoir de la visite, cela fait plusieurs heures que je
suis là et je commençais à désespérer que l’on vienne !
-Et qui serait venu ?
-J’ai envoyé un
messager chez des amies, mais personne ne m’a répondu, et avec le
tueur après moi je ne préfère pas me risquer à mettre le nez
dehors.
-Le tueur en série en a
après vous ? M’étouffai-je
-Comme je te le dis,
c’est lui qui m’a attaqué hier soir, j’ai réussi à me
réfugier ici mais je ne pense pas que cela le fera passer à autre
chose, il est indéniable qu’il m’en veut, et je serais prête à
parier que c’est à cause de son livre que j‘ai refusé de lui
rendre.
Stupéfait, j’écoutais
Emma me conter toute son histoire .Elle m’apprit que l’homme
étant venu la voir juste après moi se trouvait être le tueur en
série. Celui-ci venait récupérer son livre perdu, et lorsque la
dealeuse refusa de le lui rendre gratuitement, l’homme en capuchon
entra dans une colère folle et partit en la menaçant. Le soir venu,
quelqu’un frappa à la porte, il s’agissait de nouveau du
mystérieux visiteur, plus calme que durant l‘après-midi, il
demanda encore une fois qu’on lui remette son œuvre, demande que
la commerçante rejeta de nouveau. Au lieu de s’énerver comme la
première fois, l’homme claqua des doigts, un énorme lion bondit
dans le bureau et éventra les deux héroïnes qui protégeaient
l’auteur. Celle-ci eut tout juste le temps de se réfugier dans sa
chambre et de fermer le coffre de l’intérieur. Ainsi l’assassin,
après s’être acharné sur le bois, dut renoncer et repartit en
vitesse.
Peu de temps après, les
forces de l’ordre arrivèrent, constatèrent les dégâts et, ne
trouvant la dealeuse nulle part, ils la crurent morte et la
comptèrent comme une nouvelle victime du tueur en série.
-Je ne suis ressorti
qu’une seule fois depuis, afin d’établir un rapide inventaire,
le livre de l’homme au capuchon avait disparu, il ne fait aucun
doute qu’il l’a finalement récupéré ; qui plus est,
durant toute la durée de mon listage, je sentais bien que l‘on me
surveillait.
Elle fit une pause et me
regarda malicieusement :
-Cette histoire était
gratuite mais le nom de l’auteur à qui appartenait ce livre en
revanche…
Je soupirai ; encore
une fois je ne possédais rien pouvant l’intéresser, et malgré
mes réticences, le désir de savoir était bien trop grand.
-Je n’ai rien à
vendre, m’excusai-je.
- C’est faux, tu as tes
personnages.
Mon sang ne fit qu’un
tour.
-Pour la dernière fois,
il est hors de question que je vende mes héros.
L’indic rit bruyamment
:
-Je sais bien que tu ne
le ferais pas, mais alors tu peux me rendre un autre service.
Perplexe, j’attendais
la suite.
-Vois-tu, j’ai fait un
pari avec un autre auteur ; celui qui perd doit donner un héros
préalablement choisi à l’autre. Or il se trouve que vu la
situation dans laquelle je me trouve, il serait assez stupide de
sortir et l’affrontement se déroule dans quelques heures. Bien
sûr, annuler reste la meilleure solution cependant je tiens beaucoup
à gagner ce personnage, alors voilà ce que je te propose, combats à
ma place, gagne et je te dirai tout ce que je sais.
-Je croyais que vous
aviez une grande collection, vous ne pouvez pas envoyer une de vos
héroïnes à votre place ?
-L’administration a
confisqué mes meilleurs livres, ragea-t-elle, ce qui fait que je
n’ai plus aucune combattante digne de ce nom, mis à part celles
qui me protègent et que je préfère garder à mes côtés. Alors
que penses-tu de mon offre ?
La proposition paraissait
loyale…si on oubliait le trafic de héros, cela pourrait me
permettre d’obtenir des informations importantes sur le tueur. Une
fois avoir pesé le pour et le contre, je me décidai enfin à
accepter le marché de la dealeuse Après avoir établi le
déroulement du rendez vous, je remontai dans la cabane et ressortis
par la porte de derrière. Emma m‘avait donné rendez-vous à trois
heures devant sa planque ; là, un de ses personnages
m‘attendrait et nous conduirait au duel. Pour l‘heure, je me
dépêchai de rentrer voir mes héros afin de leur parler du marché
avec la dealeuse.
En entrant, un canon de
fusil se colla contre ma tempe, de derrière la porte, Le Faucon me
tenait en joug.
-Arrête Gabriel, c’est
Emmanuel, s’écria Anna.
Le métal froid s’éloigna
de ma tête ; c‘était la seconde fois depuis ce matin que
l‘on pointait une arme à feu vers moi. Encore tout tremblant, je
demandai la raison d’un tel accueil, mon personnage me conta son
récit, son épaule saignait et son visage, couvert de sueur
affichait un rictus de douleur.
-Après ton départ, je
suis aussi sorti marcher un peu. Les couloirs étaient déserts. A
l’intérieur d’une salle je me suis fait attaquer
-Par un animal !
m’exclamai-je.
-Pas du tout. Je me suis
fait attaquer par la mort.
Stupéfait par la
nouvelle, je demandai au héros de continuer son récit pendant que
je réparais sa description qui en effet présentait de nombreuses
dégradations. D’après le portrait physique que me brossa Gabriel,
il s’agissait bien d’une représentation très stéréotypée de
la mort, une silhouette noire aux mains squelettiques maniant une
faux.
-Alors que je m’enfuyais,
elle m’a dit quelque chose que je ne comprends toujours pas. Elle
m’a appelé « bûcheron ».
Effectivement je ne
voyais pas la raison de ce qualificatif. Cette mésaventure avait de
toute évidence été causée par le tueur en série, mais la raison
pour laquelle il s’en prit à mon héros restait inconnue. Plus que
jamais l’information de la dealeuse pouvait être essentielle et le
combat à venir n’en était que plus important.
Faisant part à mes
personnages du marché passé avec Emma, je leur exprimai mon désir
de mettre un nom sur ce mystérieux auteur. Tous acceptèrent de
participer, même Marie qui, toujours en colère, se contenta
d’acquiescer en silence.
Afin de me remettre de
mes émotions, qui depuis mon réveil, une heure auparavant, avaient
été nombreuses, je me rendis à la salle de bain afin de profiter
d’une douche rafraîchissante. L’eau réussit à dissoudre mes
doutes et je retrouvai confiance, depuis mon arrivée dans ce monde,
je n’avais subi aucune défaite et rien n’indiquait que cela
commencerait aujourd’hui.
L’heure du rendez-vous
approchait et nous étions déjà devant les habitations de tôles.
Notre guide, une héroïne ressemblant trait pour trait à la
dealeuse, nous conduisit à l’écart des autres auteurs, vers des
pièces presque totalement vides. Dans l’une d’elles se trouvait
notre homme ; il patientait dans un coin, appuyé contre un mur,
absorbé dans un gros livre dont la couverture portait en lettres
d’or le nom d’un héros : « Arsène Lupin ».
L’écrivain releva la tête en nous entendant approcher, il ôta
son chapeau pour nous saluer et, d’un geste de la main, nous
indiqua une porte :
-J’ai déjà préparé
l’arène à ma guise comme les termes de l’accord le précisaient,
dit-il d’une voix posée, je vous expliquerai les détails une fois
que nous y serons.
Puis, se tournant vers
moi, il interrogea le clone :
-Qui est ce jeune homme ?
-Il s’agit du champion
de ma maîtresse, répondit la fausse Emma d‘un ton monocorde. Il
se battra à sa place.
Ne trouvant rien à
redire, Maurice Leblanc nous conduisit dans une salle adjacente ;
là nous attendait déjà un personnage. De haute prestance, l’homme,
vêtu d’un élégant smoking noir et d’un haut de forme, nous
dévisagea un par un, s’attardant tout particulièrement sur ma
guerrière. Derrière lui, deux fauteuils faisaient face à deux
grands écrans de télévision, chacun d’entre eux séparés de
l’autre par une épaisse vitre teintée.
-Voici comment se
déroulera le duel, déclara l’auteur, nous choisirons un héros
chacun, celui-ci passera par la porte qui est là-bas. L’arène est
un grand manoir où se trouve un masque ; le premier des deux
héros qui volera et le ramènera obtiendra la victoire.
Pour la première fois
depuis mon arrivée, les règles du combat changeaient légèrement,
il ne s’agirait pas là d’un affrontement à mort mais bel et
bien d’une course. Evidemment pour ce genre d’épreuve le seul de
mes personnages capable de faire face était Anna, laquelle devait
normalement posséder les caractéristiques d’un assassin et donc,
je l‘espérais, quelques -uns des talents nécessaires à une
cambrioleuse, entre autres la discrétion. Bien sûr, de l’autre
côté, Leblanc choisit d’envoyer son maître voleur. Mon
adversaire et moi nous installâmes chacun dans un siège ;
devant nous l’écran allumé permettait de voir notre héros à la
troisième personne.
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