samedi 16 août 2014

Gabriel


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« Gabriel, dit « Le faucon » attendait patiemment, son patron était occupé à écrire sur un cahier et ne lui prêtait pas attention .A côté de lui, sur une autre chaise, une jeune fille l’observait attentivement, elle avait discrètement porté sa main à l’une des armes posées devant elle et observait. Il savait qu’au moindre geste elle n’hésiterait pas à bondir, mais une question l’obsédait, son épée était-elle plus rapide que ses pistolets ? Ne préférant pas vérifier, il croisa les jambes, lissa ses cheveux, brun mi-longs, en arrière, retira ses lunettes noires et attendit. Aucune émotion ne le traversait, il n’avait pas peur, ses armes à sa ceinture et son sniper dans son dos le rassuraient plus que n’importe quoi d’autre ; il les avait achetés à un préteur sur gages alors qu’il avait vingt cinq ans, depuis, personne ne réussit à le battre, voila désormais dix ans qu’il était invaincu. Repoussant une mèche brune qui retombait sur ses yeux, il entreprit d’examiner les personnes l’entourant. A son grand soulagement, il ne repéra aucun grand gaillard comme lui, vêtu d’une ample veste noire retombant jusqu'à ses pieds et aucun n’était armé d’un Dragunov ou de Beretta, il était unique, tant par son accoutrement que par son caractère. Il en avait vu des choses dans les ghettos, mais son instinct lui disait qu‘il n‘était pas au bout de ses surprises…. »



Je relevai la tête, Le Faucon était assis sur une chaise, immobile, impassible.

-Patron, dit-il simplement d’une voix dénuée de toute intonation en inclinant la tête.

Le résultat semblait correct, le seul problème que je me posais était si son caractère froid, taciturne et solitaire ne serait pas problématique .Enfin, je modifierais cela une autre fois, pour l’heure, il fallait à tout prix que je mange. Après avoir rangé le cahier dans mon nouveau sac, je hélai un serveur et lui demandai ce qu’il y avait à manger.

-Tout ce que vous souhaitez, répondit-il poliment.

-Un chili con carne ?

-Mais bien sûr, et vous messieurs -dames, demanda-t-il en se tournant vers Marie et Gabriel, que désirez-vous ?

L’une commanda une assiette de pâtes carbonari et l’autre une entrecôte saignante. Après avoir noté sur un calepin les demandes, il s’en alla et revint quelques minutes plus tard portant notre plat à bout de bras.
Obnubilés par nos assiettes, nous mangeâmes sans prononcer un mot, nous délectant des saveurs de nos plats, de sentir la nourriture nous remplir l’estomac qui criait famine depuis trop longtemps.
Une fois notre repas terminé, je me replongeai dans mes cahiers, beaucoup de choses devant être modifiées, j’inculquai au faucon un peu plus de sentimentalisme ; à Marie, j’insérai une notion de bien et de mal plus précise afin qu’elle ne s’attache pas à nos adversaires comme elle l’avait fait lors du combat précédent.
Puis des changements physiques : Gabriel se contenterait de faire 1mètre 90 au lieu de 2 mètres et quelques et serait un peu moins baraqué. Ma guerrière posséderait des bras un peu plus musclés afin de porter ses armes sans s’épuiser et aurait une endurance au- dessus de la moyenne.
Je décidai, une fois terminé, de tester ces changements en combattant. En nous déplaçant au hasard dans les salles, nous finîmes par rencontrer une personne acceptant notre défi. Elle devait avoir la trentaine, peut-être plus, les cheveux roux coupé ras, un regard rêveur malgré un visage aux traits sévères, le nez aquilin, le menton fuyant, un drôle de gars, croyez- moi. Vêtu d’une sorte de toge, il nous dirigea vers un ring vide et exigea de combattre en un contre un. Marie se porta évidemment volontaire pour se battre, me tournant vers Gabriel, celui-ci jugea que la zone de combat était bien trop petite pour lui. Ce fut donc mon héroïne qui, par élimination, monta sur le ring.
Face à elle apparut un petit homme,  torse nu, le bassin cerclé d’une jupe, la peau hâlée, un énorme tatouage lui recouvrant la quasi totalité du corps. Apres avoir poussé un cri suraigu, le tribal fonça droit sur son ennemi, attrapant ses cimeterres dans son dos, Marie faucha son adversaire d’un coup. Les deux moitiés de corps retombèrent au sol dans une flaque de sang, le spectacle était des plus écœurants, au moins avait-elle gagné. Soudain, Marie se mit à tousser, à cracher des gerbes de sang sans raison apparente.

-Elle s’est fait avoir, me glissa Faucon.

Je détachai mon regard de Marie pour le poser sur Gabriel, celui ne me regardait même pas, il parla tout en regardant sa camarade se plier en deux et vomir son repas.

-Elle ne s’est pas assez méfiée, reprit-il, personne n’est assez bête pour foncer comme ça, sans arme, sans protection, il y avait forcement un piège. Son tatouage, il représentait un dieu aztèque nommé Tezcatlipoca, il était considéré comme une divinité très puissante et ce que je vois là me rappelle une légende dans laquelle il est le « héros » .Un jour, dans une grande ville Aztèque, un groupe de trois magiciens arriva, l’un d’eux était Tezcatlipoca ayant pris forme humaine. Le soir venu, celui-ci entonna un chant magique et commença un danse, bientôt reprise par tous les habitants, Tezcatlipoca les emmena en dansant jusqu’à un pont de pierre qui s’écroula, tuant ainsi tout ceux qui étaient dessus. Le lendemain, sur la place de la ville, il montra aux gens un pantin qui dansait tout seul dans sa main. Tout le monde voulut voir ce prodige mais beaucoup périrent, écrasés par la masse .Enfin, le dieu déguisé révéla qu’il était l’auteur de ces deux drames et dit qu’il devait être lapidé ; sans réfléchir, les citadins tuèrent le magicien .Son cadavre se mit à empester si fort que de nombreuses personnes moururent avant que le corps ne soit sorti de la ville.

Je me félicitai d’avoir donné au Faucon ce genre de savoir, il savait également faire le baba au rhum, chose qui, je vous l’avoue, ne sert strictement à rien. Si je me fiais à ce qu’il venait de dire, l’indigène était une représentation littéraire d’un dieu. Demandant à Gabriel le meilleur moyen de sauver Marie il me répondit.

-Pas grand-chose, elle doit se couvrir le visage et se coller au sol afin de respirer le moins possible ce poison.

Je ne cherchai pas d’autre solution et m’empressai de noter ce qu’il venait de dire.

-Et une fois à terre, comment elle fait ?

-Elle attend.

Génial , si je comprenais bien , il fallait attendre tranquillement en priant pour qu’elle ne meure pas .Au bout d’un moment , le nuage verdâtre qui s’était formé se dissipa , mon héroïne , toujours en vie , se releva prudemment , l’énergumène qu’elle avait coupé en deux auparavant se tenait devant elle , en un seul morceau .Il ouvrit la bouche en grand, et , au lieu de pousser un deuxième cri , il articula dans une langue primitive une sorte de chanson. Une douce mélopée s’éleva pour l’accompagner, sortant de nulle part. Puis, comme dans la légende, il commença à danser, ses gestes étaient lents, simples mais envoûtants. Hypnotisé, Marie se mit elle aussi à danser, tenant toujours ses armes, elle copia les gestes de son ennemi et, dans la plus grande coordination possible, ils entamèrent un ballet assez étrange. Petit à petit, les mouvements s’accélérèrent et se complexifièrent, je savais que quelque chose allait se passer, ils n’allaient tout de même pas danser jusqu'à l’épuisement, si ?

-Et comment tu arrêtes ça ?demandai-je à l’expert de la mythologie.

-Je ne sais pas, seul un Dieu peut stopper un autre Dieu.

-Marie déesse guerrière ? Grommelai-je, il manquerait plus qu’elle soit vénérée.

-Tu ne peux pas créer de Dieu, c’est techniquement impossible, ce que tu vois là n’est qu’une copie, il te suffit d’attribuer quelque chose de divin à ton personnage .Je ne sais pas moi, un tatouage, comme lui.

Mmm….L’idée n’était pas mauvaise, il fallait la tenter, même si elle n’était pas forcément d’accord.
Je m’apprêtai à lui faire un magnifique tatouage .Le seul Dieu aztèque que je connaissais était Quetzalcóatl, le grand serpent a plumes, ce fut donc lui qui fut choisi. A peine eus-je créé le dessin, celui-ci apparut. Le bras gauche entier ainsi que la moitié de la jambe droite de Marie se recouvrirent de traits noirs, on pouvait deviner la gueule géante d’un serpent sur le membre antérieur et une queue écaillée sur la jambe. Marie sortit de sa transe au moment où l’aztèque s’arma d’une dague, apparut soudainement dans sa main et attaqua son ennemi qu’il pensait toujours en hypnose. Ma guerrière évita au dernier instant l’attaque et la lame ne transperça que du vide ; reprenant soudain conscience du combat, elle coupa la main armée de son adversaire avec sa première arme et l’acheva avec la deuxième. Au lieu de s’effondrer, le cadavre se consuma complètement, dégagea un nuage de fumée noire qui, peu à peu, prit forme humaine. Cela n’en finissait donc jamais ! Le nuage se dissipa et, à la place, un immense colosse en armure d’environ une quinzaine de mètres toisait Marie d’un regard haineux.

-Toi, cria-t-il d’une voix gutturale, toi qui as osé t’élever contre moi, le grand Tezcatlipoca, seigneur du miroir fumant, craint de tous sous le nom de Yaolt .Toi, guerrière divine, pour avoir déjoué mes épreuves, j’accepte de te tuer pendant ce combat.

Ce type était vraiment barbant ! Quel baratineur, il fallait le faire taire tout de suite !
Marie dut penser la même chose et passa à l’attaque .Tezcatlipoca ne bougea même pas en voyant son adversaire foncer sur lui et se contenta de brandir son bras monumental avant de l’abattre en direction de mon héroïne. L’impact fit se fissurer le sol et souleva un épais nuage de poussière ; quand celui-ci disparut, Marie était toujours là, parant le poing du dieu sans difficulté apparente .Il me semblait cependant que son tatouage rougeoyait, non, ce n’était pas une impression, le serpent à plumes brillait d’une lueur rouge, semblable à un métal en fusion, mon personnage ne s’en souciait guère et se battait comme si de rien n’était.

-Quetzalcóatl !!!!!

Le colosse écumait de rage, profitant de l’immobilité de sa cible, il l’attrapa de sa main libre et la porta à sa hauteur, un sourire cruel occupait son visage monstrueux. Soudain, poussant un hurlement de douleur, il jeta sa proie au loin, sa gigantesque main était barrée d’une affreuse brûlure. Le tatouage de Marie rougeoyait de plus belle, comme si la colère de Yaolt l’encourageait. Bondissant à une hauteur phénoménale , la guerrière planta ses cimeterres dans la cuisse de son ennemi , traversant son armure comme dans du beurre , et l’ouvrit jusqu'à la cheville .Deuxième hurlement, la blessure , ruisselante de sang , faisait au minimum quatre mètres de longueur et laissait apparaitre l’os blanc, plus large qu’un tronc d’arbre. Ne s’arrêtant pas, l’assaillante effectua un nouveau saut qui l’amena à la hauteur de la hanche du géant, y planta ses sabres et se hissa jusqu'à son omoplate, traçant au passage un sillon ensanglanté dans le dos du pauvre seigneur des miroirs fumants. Celui-ci eut beau se démener, remuer dans tous les sens, Marie s’accrochait et grimpait pour atteindre l’épaule. Quand enfin elle y fut, elle leva ses armes et entreprit de couper la nuque de son ennemi comme un bûcheron couperait un arbre. A peine eut-elle donné le premier coup que le titan la désarçonna. Dans sa chute, l’héroïne réussit à se ralentir in extremis au gigantesque mollet et acheva sa descente en douceur, Tezcatlipoca n’était plus qu’un immense monticule ensanglanté rugissant de douleur. Finalement, après une cour moment, celui-ci s’effondra lourdement à terre et ne bougea plus. La lumière annonçant la fin des combats s’alluma enfin. La Représentation divine cessa sa fusion pour redevenir normale et sa porteuse, en sueur, se jeta une nouvelle fois dans mes bras, puis dans ceux du faucon, qui d’après son expression n’était pas du tout à l’aise. 

-L’auteur Emmanuel passe 922ème au classement général, bravo. L’auteur Claude Morissette rétrograde à la 876ème place, dommage.

Le top 30 s’approchait tout doucement, je repensais à ce m’avait dit Ellana. Exténué de son combat le vainqueur demanda un repos bien mérité que nous lui accordions volontiers, déambulant au hasard dans le couloir, nous finîmes par retrouver le salon de modification et nous assîmes à la table la plus proche.

-Et ! Mais c’est quoi ce truc sur mon bras ?s’exclama Marie, depuis quand je l’ai ?

J’oubliai que je lui avais apposé ce tatouage sans lui demander son avis.

-Il recouvre tout mon bras !!

-Il continue aussi sur ton ventre jusqu'à ta cheville droite, avouai-je, je suis désolé de t’avoir imposé ça mais bon, je n’avais pas trop le choix.

Gabriel nous regardait, impassible, l’expression fermée comme à son habitude, inutile d’attendre quelconque aide de sa part.

- Enlève-moi ça tout de suite !

-C’est permanent.

-Raye tout de suite les phrases qui l’ont fait apparaître !

Je ne comprenais pas pourquoi elle voulait tant s’en débarrasser, certes le tatouage était très étendu mais il était également d’une grande beauté .Le corps écailleux commençait à la jambe, s’enroulait autour du mollet, remontait sur le ventre, déployait ses ailes sur la poitrine, s’enroulait à nouveau autour du bras et se finissait pas la gueule ouverte, au niveau du poignet.
 J’eus beau lui expliquer pendant un bon quart d’heure que cela la rendait plus forte, elle ne voulait rien entendre .Finalement , j’abandonnai et effaçai le paragraphe décrivant l’image de Quetzalcóatl , pour le plus grand plaisir de Marie. Dommage ! L’idée que mon personnage soit une guerrière divine me plaisait bien finalement. 
Une fois reposés, nous repartîmes chercher un adversaire afin de continuer notre ascension jusqu’au sommet du classement. La tâche fut encore plus ardue qu’auparavant, ceux qui avaient vu ou entendu parler de notre précédent combat refusaient de combattre et les autres adultes me regardaient de haut, pensant sans doute que je ne valais pas la peine d’être affronté.
Au bout de deux heures de recherches infructueuses, lassés de tous ces refus, nous retournâmes au salon, là, nous tombâmes nez à nez avec Ellana ; celle-ci nous invita à nous asseoir avant de nous féliciter de notre victoire face à Tezcatlipoca. Intrigué par sa présence, je lui demandai ce qu’elle faisait ici.


-Je vous attendais, répondit-elle, j’ai informé mon auteur de ton premier combat contre St Exupéry. Je peux te dire que, selon ceux qui regardaient, tu ne partais pas favori. Mon créateur a ensuite assisté à l’affrontement de tout à l’heure et il m’a alors demandé de veiller sur toi, pour lui , tu es très prometteur .

Que mon auteur préféré me trouve assez talentueux pour me protéger me faisait tout drôle .Mais la marchombre n’avait pas fini ses explications.

-Il reste un problème. Tes personnages sont parfaits, tu leur as créé des aptitudes particulières, même des défauts, mais fais attention, tu commences à faire beaucoup de ratures .Chaque phrase rayée fait disparaître ce qu’elle décrivait mais cela laisse des cicatrices, regarde Marie, là où il y avait le tatouage il doit désormais y en avoir une. Le problème qu’elle pose n’est pas seulement au niveau esthétique, c’est une véritable faiblesse ; prends un arbre par exemple, si tu y construis un cabane en coupant les branches gênantes, même si par la suite tu retires la cabane, l’arbre aura été modifié, sans doute à vie. Je pense que tu devrais remettre ce tatouage à Marie, en plus ça lui va plutôt bien, et puis, le surnom de guerrière divine va avec.

Sur une des feuilles blanches que je gardais, je réécrivis l’image du dieu civilisateur. Avant d’avoir eu le temps de protester, les traits noirs réapparurent et le dessin mythologique reprit sa forme de départ.

-Parfait, commenta Ellana, je crois que vous devriez dormir un peu, mine de rien, depuis ton arrivée au monde des libres artistes, il s’est écoulé 11 heures. Demandez une chambre à un serveur.

Considérant l’explication comme finie, elle partit en silence.

-C’est pas sympa, bouda Marie, j’ai même pas eu mon mot à dire.

Faisant comme si je n’avais rien entendu, j’appelai un serveur qui nous conduisit dans un couloir silencieux et désigna une porte en s’excusant du fait qu’il n’y ait qu’un seul lit.
Nous le remerciâmes et entrâmes sans attendre dans la chambre, l’endroit tenait d’ailleurs plus de l’appartement. L’entrée donnait sur une petite pièce avec un porte manteau, à côté jouxtait la dite chambre, en effet, un seul lit à deux places occupait un coin et un matelas avait été posé à ses pieds. Une autre porte menait à un petit bureau meublé d’une table avec une chaise, un fauteuil était posé près d’une petite bibliothèque contenant divers dictionnaires, encyclopédies, manuels d’histoire et géographie, des livres concernant l’anatomie humaine et animale ainsi que d’autres ouvrages, relatant chacun de sujets différents.
De l’autre côté de la chambre se trouvait une salle de bain basique, un lavabo, une douche, une baignoire et des toilettes.
Une interrogation m’amusa : comment faisaient Maurice Druon et sa horde de héros dans une pièce aussi petite ? A ma grande surprise, un des murs était percé d’une fenêtre et donnait sur une plaine s’étendant à perte de vue, non, pas exactement, à travers les arbres et les feuillages, on pouvait distinguer à l’horizon un gigantesque mur. Le colossal bâtiment dans lequel nous nous trouvions tous devait être carré et cette plaine en était le centre, le soleil était encore haut dans le ciel et bon nombre de personnes profitaient du jour pour écrire. Les auteurs de science -fiction côtoyaient les romanciers, assis dans l’herbe, parlant amicalement de leurs ouvrages respectifs, de leur véritable vie ou même de leurs combats passés.

-Je prends le lit, cria Marie en se jetant dessus, débrouillez-vous avec le matelas, vous n’avez qu’à tirer à la courte paille celui qui dormira dessus.

-Pas besoin, rétorquai-je, vas-y Gabriel, je serai dans le bureau si vous me cherchez.

Puis sans un mot, je rejoignis la salle de travail, m’assis sur la chaise, pris une nouvelle feuille et commençai un nouveau personnage. Celui-ci, je le savais, ne serait pas terminé avant un moment.
Plongé dans mon travail, je ne vis pas les heures passer ; décidant finalement de m’accorder une pause, je m’affalai sur le fauteuil et m’endormis.



























5

Gabriel


Le monde s’embourbait un peu plus chaque jour, les villes cédaient leur place à d’immenses zones industrielles, les gouvernements parquèrent les populations dans des ghettos délabrés, bref, tout se barrait en couille de la pire manière qu’il soit. C’est dans cette ambiance du genre post-apocalyptique que vint au monde Gabriel, en l’an 2339, la vie était assez rude et élever un enfant devenait une véritable épreuve quotidienne, les vivres venaient quelquefois à manquer, les logements, et même tous les bâtiments existants, tombaient littéralement en ruine, et il arrivait que ces ruines tombent sur des gens. Les maladies les plus graves avaient disparu mais celles qui subsistaient restaient mortelles pour un nouveau-né.
Malgré tous ces obstacles, l’enfant vécut. A l’âge de quatre ans, il mangeait à sa faim, buvait autant qu’il le voulait et aucune maladie ne l’atteignit. A bien y regarder, il possédait tout ce dont il avait besoin, il ne lui manquait plus que des parents pour être un enfant heureux. Malheureusement ceux-ci avaient péri lors d’un assaut des mercenaires de l’Etat, les « messagers de la mort », mais bon, c’était une chose assez banale pour que Gabriel ne s’en plaigne pas.
Lorsque l’on vit au jour le jour, que la loi du plus fort régit une grande partie de votre quotidien et lorsque vos aptitudes physiques et votre force mentale vous permettent de vous démarquer des autres, il est évident que l’on développe le plus tôt possible une personnalité en conséquence. Aussi, dès l’âge de 18 ans, Gabriel possédait un extraordinaire sang-froid, un calme à toute épreuve, une forte propension au mutisme et des techniques de combat irréprochables. Il savait lire et écrire, chose peu courante à l’époque, les notions de respect et d’obéissance s’étaient profondément gravées en lui comme les piliers fondamentaux de son être, grâce à cela il prit très vite une place importante au sein des Black Angels, le gang de son quartier.
Les années passèrent et Gabriel continuait de grandir, son corps se développait de plus en plus, le frêle adolescent devint un homme de grande taille, à la carrure imposante et au visage aussi froid et dur que le béton sur lequel il marchait chaque jour. Les événements qui marquèrent son existence lui apprirent plusieurs choses, premièrement, la confiance était quelque chose qui se gagnait et peu de gens en étaient véritablement dignes, deuxièmement, toujours frapper le premier, et toujours être celui qui porte le dernier coup.
Sentiment nouveau, une certaine fierté grandit en lui à force de gagner des combats contre des adversaires de plus en plus forts, de plus en plus gradés, et son tableau de chasse était impressionnant. Mais ses cibles favorites restaient les mercenaires, dès qu’il en croisait, rien ni personne ne pouvait l’empêcher d’assouvir les pulsions vengeresses qui l’assaillaient alors. Dans ces cas-là le flegme dont il faisait habituellement preuve volait en éclats, Gabriel laissait sa place à un véritable fou qui ne pouvait se contrôler. Fort heureusement, au fil des années il parvint à contenir ses soudaines crises de rage et réussissait même à les ignorer si la situation le nécessitait.
A vingt-cinq ans, il délaissa le combat à mains nues au profit de la longue distance et se procura un fusil de précision ainsi qu’une paire de pistolets. A dater de ce jour, tout ce que faisait Gabriel, il le faisait avec ces armes, son dogme changea pour tirer le premier et être le dernier debout.
Même si tout cela tend à faire passer cet homme pour une brute, il ne faut pas oublier non plus de décrire la personne à l’extérieur des combats. La sensibilité n’était certes pas son trait de caractère le plus développé, cependant Gabriel pouvait bel et bien éprouver des sentiments, il ressentit déjà de la tendresse pour quelqu’un à plusieurs reprises, certaines femmes réussirent même à percer son armure, si bien qu’il connut également l’amour. Et même s’il faisait plus penser à un bloc de pierre qu’à un être humain, Gabriel restait quelqu’un sur qui on peut se reposer si tant est qu’il vous fasse lui-même confiance.




Malgré les années difficiles qu’il traversa, le Dragunov de Gabriel resta une arme d’une efficacité remarquable. Créée au 21ème siècle et plus exactement en 2010, bien avant que la terre ne devienne ce qu’elle devint, son premier propriétaire fut un soldat de métier, envoyé avec plusieurs régiments dans des régions éloignées afin de maintenir la paix. Leur collaboration dura cinq années, à son retour de mission, le militaire rendit son camarade de bataille à son capitaine, lequel le revendit clandestinement à un trafiquant d’armes contre quelques billets. Après l’officier, le fusil fit la connaissance d’un terroriste se faisant appeler Bullet, dès lors son domaine d’activité changea radicalement, plus question de tirer sur les militaires ennemis, à partir de ce jour ses anciens alliés devenaient ses nouvelles cibles. Durant une vingtaine d’années, Blanca, c’était le nom que son possesseur lui donna, tira sur un peu de tout, de l’infanterie, des agents de l’ordre, des civils, des gens censés être dans le même camp que Bullet, bref, une palette très diversifiée. Puis, à la suite d’une sombre affaire de taupe infiltrée, tout le réseau fut arrêté, et Blanca fut placé dans un carton, lequel fut déposé dans un entrepôt, lequel était gardé par hommes de la sécurité nationale. Fort heureusement une arme ne peut rien ressentir, l’ennui lui est inconnu,, car pendant plus d‘un siècle, l’entrepôt fut sa seule résidence, de temps en temps on le sortait de sa boîte pour vérifier son état, puis il retrouvait sa place dans son étui.
Puis, en l’an 2184, on lui offrit une seconde « vie » en le remettant dans les mains d‘un ancien mafieux, désormais au compte de l’Etat en tant que mercenaire ayant pour mission de repousser les populations civiles vers les banlieues. A nouveau des innocents s’écroulèrent sous les balles mortelles de Blanca, et quand le mercenaire mourut, un autre de ses collègues hérita du fusil et continua le massacre commencé par son compagnon. Les propriétaires s’enchaînèrent rapidement, trop vite et en trop grand nombre pour tous les énumérer.
Finalement en l’an 2363, lorsque le nouveau possesseur se fit tuer à l’intérieur d’un bâtiment en ruine, le Dragunov changea de camp. L’homme qui le trouva était un préteur sur gages qui vit en l’arme un bon produit à proposer à ses clients. Un an plus tard la marchandise fut vendue, son acquéreur se nommait Gabriel.













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