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« Gabriel, dit
« Le faucon » attendait patiemment, son patron était
occupé à écrire sur un cahier et ne lui prêtait pas attention .A
côté de lui, sur une autre chaise, une jeune fille l’observait
attentivement, elle avait discrètement porté sa main à l’une des
armes posées devant elle et observait. Il savait qu’au moindre
geste elle n’hésiterait pas à bondir, mais une question
l’obsédait, son épée était-elle plus rapide que ses pistolets ?
Ne préférant pas vérifier, il croisa les jambes, lissa ses
cheveux, brun mi-longs, en arrière, retira ses lunettes noires et
attendit. Aucune émotion ne le traversait, il n’avait pas peur,
ses armes à sa ceinture et son sniper dans son dos le rassuraient
plus que n’importe quoi d’autre ; il les avait achetés à
un préteur sur gages alors qu’il avait vingt cinq ans, depuis,
personne ne réussit à le battre, voila désormais dix ans qu’il
était invaincu. Repoussant une mèche brune qui retombait sur ses
yeux, il entreprit d’examiner les personnes l’entourant. A son
grand soulagement, il ne repéra aucun grand gaillard comme lui, vêtu
d’une ample veste noire retombant jusqu'à ses pieds et aucun
n’était armé d’un Dragunov ou de Beretta, il était unique,
tant par son accoutrement que par son caractère. Il en avait vu
des choses dans les ghettos, mais son instinct lui disait qu‘il
n‘était pas au bout de ses surprises…. »
Je relevai la tête, Le
Faucon était assis sur une chaise, immobile, impassible.
-Patron, dit-il
simplement d’une voix dénuée de toute intonation en inclinant la
tête.
Le résultat semblait
correct, le seul problème que je me posais était si son caractère
froid, taciturne et solitaire ne serait pas problématique .Enfin,
je modifierais cela une autre fois, pour l’heure, il fallait à
tout prix que je mange. Après avoir rangé le cahier dans mon
nouveau sac, je hélai un serveur et lui demandai ce qu’il y avait
à manger.
-Tout ce que vous
souhaitez, répondit-il poliment.
-Un chili con carne ?
-Mais bien sûr, et vous
messieurs -dames, demanda-t-il en se tournant vers Marie et Gabriel,
que désirez-vous ?
L’une commanda une
assiette de pâtes carbonari et l’autre une entrecôte saignante.
Après avoir noté sur un calepin les demandes, il s’en alla et
revint quelques minutes plus tard portant notre plat à bout de bras.
Obnubilés par nos
assiettes, nous mangeâmes sans prononcer un mot, nous délectant des
saveurs de nos plats, de sentir la nourriture nous remplir l’estomac
qui criait famine depuis trop longtemps.
Une fois notre repas
terminé, je me replongeai dans mes cahiers, beaucoup de choses
devant être modifiées, j’inculquai au faucon un peu plus de
sentimentalisme ; à Marie, j’insérai une notion de bien et
de mal plus précise afin qu’elle ne s’attache pas à nos
adversaires comme elle l’avait fait lors du combat précédent.
Puis des changements
physiques : Gabriel se contenterait de faire 1mètre 90 au lieu
de 2 mètres et quelques et serait un peu moins baraqué. Ma
guerrière posséderait des bras un peu plus musclés afin de porter
ses armes sans s’épuiser et aurait une endurance au- dessus
de la moyenne.
Je décidai, une fois
terminé, de tester ces changements en combattant. En nous déplaçant
au hasard dans les salles, nous finîmes par rencontrer une personne
acceptant notre défi. Elle devait avoir la trentaine, peut-être
plus, les cheveux roux coupé ras, un regard rêveur malgré un
visage aux traits sévères, le nez aquilin, le menton fuyant, un
drôle de gars, croyez- moi. Vêtu d’une sorte de toge, il
nous dirigea vers un ring vide et exigea de combattre en un contre
un. Marie se porta évidemment volontaire pour se battre, me tournant
vers Gabriel, celui-ci jugea que la zone de combat était bien trop
petite pour lui. Ce fut donc mon héroïne qui, par élimination,
monta sur le ring.
Face à elle apparut un
petit homme, torse nu, le bassin cerclé d’une jupe, la peau
hâlée, un énorme tatouage lui recouvrant la quasi totalité du
corps. Apres avoir poussé un cri suraigu, le tribal fonça droit
sur son ennemi, attrapant ses cimeterres dans son dos, Marie faucha
son adversaire d’un coup. Les deux moitiés de corps retombèrent
au sol dans une flaque de sang, le spectacle était des plus
écœurants, au moins avait-elle gagné. Soudain, Marie se mit à
tousser, à cracher des gerbes de sang sans raison apparente.
-Elle s’est fait avoir,
me glissa Faucon.
Je détachai mon regard
de Marie pour le poser sur Gabriel, celui ne me regardait même pas,
il parla tout en regardant sa camarade se plier en deux et vomir son
repas.
-Elle ne s’est pas
assez méfiée, reprit-il, personne n’est assez bête pour
foncer comme ça, sans arme, sans protection, il y avait forcement un
piège. Son tatouage, il représentait un dieu aztèque nommé
Tezcatlipoca, il était considéré comme une divinité très
puissante et ce que je vois là me rappelle une légende dans
laquelle il est le « héros » .Un jour, dans une grande
ville Aztèque, un groupe de trois magiciens arriva, l’un d’eux
était Tezcatlipoca ayant pris forme humaine. Le soir venu, celui-ci
entonna un chant magique et commença un danse, bientôt reprise par
tous les habitants, Tezcatlipoca les emmena en dansant jusqu’à un
pont de pierre qui s’écroula, tuant ainsi tout ceux qui étaient
dessus. Le lendemain, sur la place de la ville, il montra aux gens un
pantin qui dansait tout seul dans sa main. Tout le monde voulut voir
ce prodige mais beaucoup périrent, écrasés par la masse .Enfin, le
dieu déguisé révéla qu’il était l’auteur de ces deux drames
et dit qu’il devait être lapidé ; sans réfléchir, les
citadins tuèrent le magicien .Son cadavre se mit à empester si fort
que de nombreuses personnes moururent avant que le corps ne soit
sorti de la ville.
Je me félicitai d’avoir
donné au Faucon ce genre de savoir, il savait également faire le
baba au rhum, chose qui, je vous l’avoue, ne sert strictement à
rien. Si je me fiais à ce qu’il venait de dire, l’indigène
était une représentation littéraire d’un dieu. Demandant à
Gabriel le meilleur moyen de sauver Marie il me répondit.
-Pas grand-chose, elle
doit se couvrir le visage et se coller au sol afin de respirer le
moins possible ce poison.
Je ne cherchai pas
d’autre solution et m’empressai de noter ce qu’il venait de
dire.
-Et une fois à terre,
comment elle fait ?
-Elle attend.
Génial , si je
comprenais bien , il fallait attendre tranquillement en priant pour
qu’elle ne meure pas .Au bout d’un moment , le nuage verdâtre
qui s’était formé se dissipa , mon héroïne , toujours en vie ,
se releva prudemment , l’énergumène qu’elle avait coupé en
deux auparavant se tenait devant elle , en un seul morceau .Il ouvrit
la bouche en grand, et , au lieu de pousser un deuxième cri , il
articula dans une langue primitive une sorte de chanson. Une douce
mélopée s’éleva pour l’accompagner, sortant de nulle part.
Puis, comme dans la légende, il commença à danser, ses gestes
étaient lents, simples mais envoûtants. Hypnotisé, Marie se mit
elle aussi à danser, tenant toujours ses armes, elle copia les
gestes de son ennemi et, dans la plus grande coordination possible,
ils entamèrent un ballet assez étrange. Petit à petit, les
mouvements s’accélérèrent et se complexifièrent, je savais que
quelque chose allait se passer, ils n’allaient tout de même pas
danser jusqu'à l’épuisement, si ?
-Et comment tu arrêtes
ça ?demandai-je à l’expert de la mythologie.
-Je ne sais pas, seul un
Dieu peut stopper un autre Dieu.
-Marie déesse
guerrière ? Grommelai-je, il manquerait plus qu’elle soit
vénérée.
-Tu ne peux pas créer de
Dieu, c’est techniquement impossible, ce que tu vois là n’est
qu’une copie, il te suffit d’attribuer quelque chose de divin à
ton personnage .Je ne sais pas moi, un tatouage, comme lui.
Mmm….L’idée n’était
pas mauvaise, il fallait la tenter, même si elle n’était pas
forcément d’accord.
Je m’apprêtai à lui
faire un magnifique tatouage .Le seul Dieu aztèque que je
connaissais était Quetzalcóatl, le grand serpent a plumes, ce fut
donc lui qui fut choisi. A peine eus-je créé le dessin,
celui-ci apparut. Le bras gauche entier ainsi que la moitié de la
jambe droite de Marie se recouvrirent de traits noirs, on pouvait
deviner la gueule géante d’un serpent sur le membre antérieur et
une queue écaillée sur la jambe. Marie sortit de sa transe au
moment où l’aztèque s’arma d’une dague, apparut soudainement
dans sa main et attaqua son ennemi qu’il pensait toujours en
hypnose. Ma guerrière évita au dernier instant l’attaque et la
lame ne transperça que du vide ; reprenant soudain conscience
du combat, elle coupa la main armée de son adversaire avec sa
première arme et l’acheva avec la deuxième. Au lieu de
s’effondrer, le cadavre se consuma complètement, dégagea un nuage
de fumée noire qui, peu à peu, prit forme humaine. Cela n’en
finissait donc jamais ! Le nuage se dissipa et, à la place, un
immense colosse en armure d’environ une quinzaine de mètres
toisait Marie d’un regard haineux.
-Toi, cria-t-il d’une
voix gutturale, toi qui as osé t’élever contre moi, le grand
Tezcatlipoca, seigneur du miroir fumant, craint de tous sous le nom
de Yaolt .Toi, guerrière divine, pour avoir déjoué mes épreuves,
j’accepte de te tuer pendant ce combat.
Ce type était vraiment
barbant ! Quel baratineur, il fallait le faire taire tout de
suite !
Marie dut penser la même
chose et passa à l’attaque .Tezcatlipoca ne bougea même pas en
voyant son adversaire foncer sur lui et se contenta de brandir son
bras monumental avant de l’abattre en direction de mon héroïne.
L’impact fit se fissurer le sol et souleva un épais nuage de
poussière ; quand celui-ci disparut, Marie était toujours là,
parant le poing du dieu sans difficulté apparente .Il me semblait
cependant que son tatouage rougeoyait, non, ce n’était pas une
impression, le serpent à plumes brillait d’une lueur rouge,
semblable à un métal en fusion, mon personnage ne s’en souciait
guère et se battait comme si de rien n’était.
-Quetzalcóatl !!!!!
Le colosse écumait de
rage, profitant de l’immobilité de sa cible, il l’attrapa de sa
main libre et la porta à sa hauteur, un sourire cruel occupait son
visage monstrueux. Soudain, poussant un hurlement de douleur, il jeta
sa proie au loin, sa gigantesque main était barrée d’une affreuse
brûlure. Le tatouage de Marie rougeoyait de plus belle, comme si la
colère de Yaolt l’encourageait. Bondissant à une hauteur
phénoménale , la guerrière planta ses cimeterres dans la cuisse de
son ennemi , traversant son armure comme dans du beurre , et l’ouvrit
jusqu'à la cheville .Deuxième hurlement, la blessure ,
ruisselante de sang , faisait au minimum quatre mètres de longueur
et laissait apparaitre l’os blanc, plus large qu’un tronc
d’arbre. Ne s’arrêtant pas, l’assaillante effectua un nouveau
saut qui l’amena à la hauteur de la hanche du géant, y planta ses
sabres et se hissa jusqu'à son omoplate, traçant au passage un
sillon ensanglanté dans le dos du pauvre seigneur des miroirs
fumants. Celui-ci eut beau se démener, remuer dans tous les sens,
Marie s’accrochait et grimpait pour atteindre l’épaule. Quand
enfin elle y fut, elle leva ses armes et entreprit de couper la nuque
de son ennemi comme un bûcheron couperait un arbre. A peine eut-elle
donné le premier coup que le titan la désarçonna. Dans sa chute,
l’héroïne réussit à se ralentir in extremis au gigantesque
mollet et acheva sa descente en douceur, Tezcatlipoca n’était plus
qu’un immense monticule ensanglanté rugissant de douleur.
Finalement, après une cour moment, celui-ci s’effondra
lourdement à terre et ne bougea plus. La lumière annonçant la
fin des combats s’alluma enfin. La Représentation divine cessa sa
fusion pour redevenir normale et sa porteuse, en sueur, se jeta une
nouvelle fois dans mes bras, puis dans ceux du faucon, qui d’après
son expression n’était pas du tout à l’aise.
-L’auteur Emmanuel
passe 922ème au classement général, bravo. L’auteur Claude
Morissette rétrograde à la 876ème place, dommage.
Le top 30 s’approchait
tout doucement, je repensais à ce m’avait dit Ellana. Exténué de
son combat le vainqueur demanda un repos bien mérité que nous lui
accordions volontiers, déambulant au hasard dans le couloir, nous
finîmes par retrouver le salon de modification et nous assîmes à
la table la plus proche.
-Et ! Mais c’est
quoi ce truc sur mon bras ?s’exclama Marie, depuis quand je
l’ai ?
J’oubliai que je lui
avais apposé ce tatouage sans lui demander son avis.
-Il recouvre tout mon
bras !!
-Il continue aussi sur
ton ventre jusqu'à ta cheville droite, avouai-je, je suis désolé
de t’avoir imposé ça mais bon, je n’avais pas trop le choix.
Gabriel nous regardait,
impassible, l’expression fermée comme à son habitude, inutile
d’attendre quelconque aide de sa part.
- Enlève-moi ça tout de
suite !
-C’est permanent.
-Raye tout de suite les
phrases qui l’ont fait apparaître !
Je ne comprenais pas
pourquoi elle voulait tant s’en débarrasser, certes le tatouage
était très étendu mais il était également d’une grande beauté
.Le corps écailleux commençait à la jambe, s’enroulait autour du
mollet, remontait sur le ventre, déployait ses ailes sur la
poitrine, s’enroulait à nouveau autour du bras et se finissait pas
la gueule ouverte, au niveau du poignet.
J’eus beau lui
expliquer pendant un bon quart d’heure que cela la rendait plus
forte, elle ne voulait rien entendre .Finalement , j’abandonnai et
effaçai le paragraphe décrivant l’image de Quetzalcóatl , pour
le plus grand plaisir de Marie. Dommage ! L’idée que mon
personnage soit une guerrière divine me plaisait bien finalement.
Une fois reposés, nous
repartîmes chercher un adversaire afin de continuer notre ascension
jusqu’au sommet du classement. La tâche fut encore plus ardue
qu’auparavant, ceux qui avaient vu ou entendu parler de notre
précédent combat refusaient de combattre et les autres adultes me
regardaient de haut, pensant sans doute que je ne valais pas la peine
d’être affronté.
Au bout de deux heures de
recherches infructueuses, lassés de tous ces refus, nous retournâmes
au salon, là, nous tombâmes nez à nez avec Ellana ; celle-ci
nous invita à nous asseoir avant de nous féliciter de notre
victoire face à Tezcatlipoca. Intrigué par sa présence, je lui
demandai ce qu’elle faisait ici.
-Je vous attendais,
répondit-elle, j’ai informé mon auteur de ton premier combat
contre St Exupéry. Je peux te dire que, selon ceux qui regardaient,
tu ne partais pas favori. Mon créateur a ensuite assisté à
l’affrontement de tout à l’heure et il m’a alors demandé de
veiller sur toi, pour lui , tu es très prometteur .
Que mon auteur préféré
me trouve assez talentueux pour me protéger me faisait tout drôle
.Mais la marchombre n’avait pas fini ses explications.
-Il reste un problème.
Tes personnages sont parfaits, tu leur as créé des aptitudes
particulières, même des défauts, mais fais attention, tu commences
à faire beaucoup de ratures .Chaque phrase rayée fait disparaître
ce qu’elle décrivait mais cela laisse des cicatrices, regarde
Marie, là où il y avait le tatouage il doit désormais y en
avoir une. Le problème qu’elle pose n’est pas seulement au
niveau esthétique, c’est une véritable faiblesse ; prends un
arbre par exemple, si tu y construis un cabane en coupant les
branches gênantes, même si par la suite tu retires la cabane,
l’arbre aura été modifié, sans doute à vie. Je pense que tu
devrais remettre ce tatouage à Marie, en plus ça lui va plutôt
bien, et puis, le surnom de guerrière divine va avec.
Sur une des feuilles
blanches que je gardais, je réécrivis l’image du dieu
civilisateur. Avant d’avoir eu le temps de protester, les traits
noirs réapparurent et le dessin mythologique reprit sa forme de
départ.
-Parfait, commenta
Ellana, je crois que vous devriez dormir un peu, mine de rien, depuis
ton arrivée au monde des libres artistes, il s’est écoulé 11
heures. Demandez une chambre à un serveur.
Considérant
l’explication comme finie, elle partit en silence.
-C’est pas sympa, bouda
Marie, j’ai même pas eu mon mot à dire.
Faisant comme si je
n’avais rien entendu, j’appelai un serveur qui nous conduisit
dans un couloir silencieux et désigna une porte en s’excusant du
fait qu’il n’y ait qu’un seul lit.
Nous le remerciâmes et
entrâmes sans attendre dans la chambre, l’endroit tenait
d’ailleurs plus de l’appartement. L’entrée donnait sur
une petite pièce avec un porte manteau, à côté jouxtait la dite
chambre, en effet, un seul lit à deux places occupait un coin et
un matelas avait été posé à ses pieds. Une autre porte
menait à un petit bureau meublé d’une table avec une chaise, un
fauteuil était posé près d’une petite bibliothèque contenant
divers dictionnaires, encyclopédies, manuels d’histoire et
géographie, des livres concernant l’anatomie humaine et animale
ainsi que d’autres ouvrages, relatant chacun de sujets différents.
De l’autre côté de la
chambre se trouvait une salle de bain basique, un lavabo, une douche,
une baignoire et des toilettes.
Une interrogation
m’amusa : comment faisaient Maurice Druon et sa horde de héros
dans une pièce aussi petite ? A ma grande surprise, un des murs
était percé d’une fenêtre et donnait sur une plaine s’étendant
à perte de vue, non, pas exactement, à travers les arbres et les
feuillages, on pouvait distinguer à l’horizon un gigantesque mur.
Le colossal bâtiment dans lequel nous nous trouvions tous devait
être carré et cette plaine en était le centre, le soleil était
encore haut dans le ciel et bon nombre de personnes profitaient du
jour pour écrire. Les auteurs de science -fiction côtoyaient les
romanciers, assis dans l’herbe, parlant amicalement de leurs
ouvrages respectifs, de leur véritable vie ou même de leurs combats
passés.
-Je prends le lit, cria
Marie en se jetant dessus, débrouillez-vous avec le matelas, vous
n’avez qu’à tirer à la courte paille celui qui dormira dessus.
-Pas besoin,
rétorquai-je, vas-y Gabriel, je serai dans le bureau si vous me
cherchez.
Puis sans un mot, je
rejoignis la salle de travail, m’assis sur la chaise, pris une
nouvelle feuille et commençai un nouveau personnage. Celui-ci, je le
savais, ne serait pas terminé avant un moment.
Plongé dans mon travail,
je ne vis pas les heures passer ; décidant finalement de
m’accorder une pause, je m’affalai sur le fauteuil et m’endormis.
5
Gabriel
Le monde s’embourbait
un peu plus chaque jour, les villes cédaient leur place à
d’immenses zones industrielles, les gouvernements parquèrent les
populations dans des ghettos délabrés, bref, tout se barrait en
couille de la pire manière qu’il soit. C’est dans cette ambiance
du genre post-apocalyptique que vint au monde Gabriel, en l’an
2339, la vie était assez rude et élever un enfant devenait une
véritable épreuve quotidienne, les vivres venaient quelquefois à
manquer, les logements, et même tous les bâtiments existants,
tombaient littéralement en ruine, et il arrivait que ces ruines
tombent sur des gens. Les maladies les plus graves avaient disparu
mais celles qui subsistaient restaient mortelles pour un nouveau-né.
Malgré tous ces
obstacles, l’enfant vécut. A l’âge de quatre ans, il mangeait à
sa faim, buvait autant qu’il le voulait et aucune maladie ne
l’atteignit. A bien y regarder, il possédait tout ce dont il avait
besoin, il ne lui manquait plus que des parents pour être un enfant
heureux. Malheureusement ceux-ci avaient péri lors d’un assaut des
mercenaires de l’Etat, les « messagers de la mort »,
mais bon, c’était une chose assez banale pour que Gabriel ne s’en
plaigne pas.
Lorsque l’on vit au
jour le jour, que la loi du plus fort régit une grande partie de
votre quotidien et lorsque vos aptitudes physiques et votre force
mentale vous permettent de vous démarquer des autres, il est évident
que l’on développe le plus tôt possible une personnalité en
conséquence. Aussi, dès l’âge de 18 ans, Gabriel possédait un
extraordinaire sang-froid, un calme à toute épreuve, une forte
propension au mutisme et des techniques de combat irréprochables. Il
savait lire et écrire, chose peu courante à l’époque, les
notions de respect et d’obéissance s’étaient profondément
gravées en lui comme les piliers fondamentaux de son être, grâce à
cela il prit très vite une place importante au sein des Black
Angels, le gang de son quartier.
Les années passèrent
et Gabriel continuait de grandir, son corps se développait de plus
en plus, le frêle adolescent devint un homme de grande taille, à la
carrure imposante et au visage aussi froid et dur que le béton sur
lequel il marchait chaque jour. Les événements qui marquèrent son
existence lui apprirent plusieurs choses, premièrement, la confiance
était quelque chose qui se gagnait et peu de gens en étaient
véritablement dignes, deuxièmement, toujours frapper le premier, et
toujours être celui qui porte le dernier coup.
Sentiment nouveau, une
certaine fierté grandit en lui à force de gagner des combats
contre des adversaires de plus en plus forts, de plus en plus gradés,
et son tableau de chasse était impressionnant. Mais ses cibles
favorites restaient les mercenaires, dès qu’il en croisait, rien
ni personne ne pouvait l’empêcher d’assouvir les pulsions
vengeresses qui l’assaillaient alors. Dans ces cas-là le flegme
dont il faisait habituellement preuve volait en éclats, Gabriel
laissait sa place à un véritable fou qui ne pouvait se contrôler.
Fort heureusement, au fil des années il parvint à contenir ses
soudaines crises de rage et réussissait même à les ignorer si la
situation le nécessitait.
A vingt-cinq ans, il
délaissa le combat à mains nues au profit de la longue distance et
se procura un fusil de précision ainsi qu’une paire de pistolets.
A dater de ce jour, tout ce que faisait Gabriel, il le faisait avec
ces armes, son dogme changea pour tirer le premier et être le
dernier debout.
Même si tout cela
tend à faire passer cet homme pour une brute, il ne faut pas oublier
non plus de décrire la personne à l’extérieur des combats. La
sensibilité n’était certes pas son trait de caractère le plus
développé, cependant Gabriel pouvait bel et bien éprouver des
sentiments, il ressentit déjà de la tendresse pour quelqu’un à
plusieurs reprises, certaines femmes réussirent même à percer son
armure, si bien qu’il connut également l’amour. Et même s’il
faisait plus penser à un bloc de pierre qu’à un être humain,
Gabriel restait quelqu’un sur qui on peut se reposer si tant est
qu’il vous fasse lui-même confiance.
Malgré les années
difficiles qu’il traversa, le Dragunov de Gabriel resta une arme
d’une efficacité remarquable. Créée au 21ème siècle et plus
exactement en 2010, bien avant que la terre ne devienne ce qu’elle
devint, son premier propriétaire fut un soldat de métier, envoyé
avec plusieurs régiments dans des régions éloignées afin de
maintenir la paix. Leur collaboration dura cinq années, à son
retour de mission, le militaire rendit son camarade de bataille à
son capitaine, lequel le revendit clandestinement à un trafiquant
d’armes contre quelques billets. Après l’officier, le fusil fit
la connaissance d’un terroriste se faisant appeler Bullet, dès
lors son domaine d’activité changea radicalement, plus question de
tirer sur les militaires ennemis, à partir de ce jour ses anciens
alliés devenaient ses nouvelles cibles. Durant une vingtaine
d’années, Blanca, c’était le nom que son possesseur lui donna,
tira sur un peu de tout, de l’infanterie, des agents de l’ordre,
des civils, des gens censés être dans le même camp que Bullet,
bref, une palette très diversifiée. Puis, à la suite d’une
sombre affaire de taupe infiltrée, tout le réseau fut arrêté, et
Blanca fut placé dans un carton, lequel fut déposé dans un
entrepôt, lequel était gardé par hommes de la sécurité
nationale. Fort heureusement une arme ne peut rien ressentir, l’ennui
lui est inconnu,, car pendant plus d‘un siècle, l’entrepôt fut
sa seule résidence, de temps en temps on le sortait de sa boîte
pour vérifier son état, puis il retrouvait sa place dans son étui.
Puis, en l’an 2184,
on lui offrit une seconde « vie » en le remettant dans
les mains d‘un ancien mafieux, désormais au compte de l’Etat en
tant que mercenaire ayant pour mission de repousser les populations
civiles vers les banlieues. A nouveau des innocents s’écroulèrent
sous les balles mortelles de Blanca, et quand le mercenaire mourut,
un autre de ses collègues hérita du fusil et continua le massacre
commencé par son compagnon. Les propriétaires s’enchaînèrent
rapidement, trop vite et en trop grand nombre pour tous les énumérer.
Finalement en l’an
2363, lorsque le nouveau possesseur se fit tuer à l’intérieur
d’un bâtiment en ruine, le Dragunov changea de camp. L’homme qui
le trouva était un préteur sur gages qui vit en l’arme un bon
produit à proposer à ses clients. Un an plus tard la marchandise
fut vendue, son acquéreur se nommait Gabriel.
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