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-Emmanuel ! Hé Ho
t’es-là ?
Ouvrant difficilement les
yeux, je constatai que Marie tambourinait à la porte, malgré mon
envie de me rendormir, je pliai rapidement mes feuilles pour les
mettre dans le cahier de brouillon avant d’aller ouvrir. Elle avait
troqué ses vêtements contre une robe de chambre, sûrement trouvée
dans la salle de bain, qui moulait peut-être un peu trop ses formes.
-Gabriel a ronflé toute
la nuit, s’insurgea-t-elle, je veux dormir dans le bureau !
-Non.
Le ton sur lequel je
répondis suffit à ce qu’elle se taise, je détestais que l’on
me réveille, si en plus c’était pour se plaindre alors tous les
ingrédients étaient réunis pour me mettre de mauvaise humeur. A ce
moment, le faucon sortit de la salle de bain, vêtu d’un peignoir,
me saluant d’un simple hochement de tête, il attrapa ses habits
posés sur le lit et retourna se changer.
-Bon, quand vous serez
prêts, rejoignez-moi au salon, je vais prendre mon petit déjeuner.
Marie acquiesça sans
protester, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Je ne savais pas
l’heure qu’il était, mais à chaque table siégeait un écrivain
avec son ou ses héros, je finis tout de même par trouver une table
libre et commandai un grand bol de café afin de me réveiller ainsi
que quelques tartines, histoire de me remplir l’estomac. Mon repas
terminé, je me sentais moins engourdi, profitant des quelques
instants de tranquillité avant l’arrivée de mes personnages, je
me perdis dans mes pensées.
Hier encore, j’écrivais
dans mon jardin, le soleil me réchauffait, et soudain , sans en être
averti, me voila balancé dans ce monde des libres artistes .Je
m’adapte vite direz-vous ,c’est simple , je crois ce que je vois
, et pour l’instant , j’en avais vu des choses :des géants
, des dieux , des personnages de contes de fée , des héros d’heroic
fantasy, j’avais vu un hamburger qui parle mais aussi des
écrivains célèbres , j’avais vu ma vie changer. Un objectif
m’avait été donné, gagner une bataille durant laquelle nos héros
se battront pour que leur maître devienne le meilleur, des morts
affrontaient des vivants, des anonymes contre des célèbres, des
bons contre des moins bons.
Malgré ce que j’aurais
cru, les auteurs du monde réel les plus connus ne sont pas
obligatoirement les meilleurs, la preuve, quelques heures auparavant,
St Exupéry s’était fait battre par une guerrière issue de
l’imagination débordante d’un adolescent de dix-sept ans.
Face à cette immense
guerre, tous s’entraînaient, cherchaient à faire de leurs
créations des hommes et des femmes parfaits.
Je détenais à mon actif
deux personnages, une guerrière immature mais très attachante et un
grand gaillard taciturne, ne décrochant pas deux mots dans la
journée, sauf si quand il s’agissait d’explications concernant
la mythologie, les peuples du monde, les religions ou la recette
d’une pâtisserie.
Devant moi, des légendes,
des gens ayant marqué l’Histoire par leur savoir, Molière,
Maupassant, Victor Hugo, revenaient à la vie avec leurs histoires et
n’importe lequel d’entre eux me surpassait tant par ses talents
que par ses expériences.
Au bout d’un moment,
mes héros arrivèrent et commandèrent à leur tour de quoi manger ;
dans le silence le plus total, ils finirent leurs assiettes, après
quoi nous vagabondâmes à la recherche d’un combat pour Gabriel,
en effet j’étais curieux de le voir combattre.
Alors que nous marchions
au hasard, nous nous retrouvâmes face à un bouchon, la circulation
dans le couloir était énormément ralentie. En nous faufilant parmi
les auteurs, nous finîmes par atteindre la source de ce
ralentissement. Une large zone, délimitée par des cordons rouges,
était sous le contrôle de la police. Le sol ainsi que le mur
portaient des traces de griffes et il me semblait même que c’était
du sang que je voyais à un endroit.
Tout autour la rumeur
grandissait, je parvenais à entendre la discussion de deux écrivains
à côté de moi.
-C’est déjà le
troisième corps retrouvé cette semaine ! On a beau dire que
quand on meurt dans ce monde on retourne dans notre vrai corps,
savoir qu’un tueur rôde dans les parages est effrayant.
-Excuse- moi,
intervins-je, c’est quoi cette histoire de tueur ?
Les deux hommes se
concertèrent du regard :
- Depuis quelque temps,
des auteurs sont tués dans les couloirs. Apparemment ils n’ont
rien en commun, ce qui voudrait dire que celui qui fait ça attaque
au hasard. Officiellement l’administration n’a pas encore reconnu
l’existence de ce tueur en série, mais cela ne devrait pas tarder.
D’après les marques que l’on voit, cette fois il s’agissait
d’un animal.
-Cette fois?
-La façon dont il tue
ses victimes est différente à chaque fois, à cause de cela les
soupçons se portent forcément sur un auteur, lequel enverrait ses
héros faire le travail.
-Sauf que des auteurs il
y en a un paquet, continua l’autre, et comme il n’y a encore
aucun suspect, les gens deviennent de plus en plus méfiants les uns
envers les autres.
Un officier de police
nous interrompit et dispersa la foule. De nouveau je marchai au
hasard, cette histoire de tueur en série m’inquiétait un peu,
mais sans plus, j’avais confiance en mes héros pour me protéger.
Nous cherchâmes un
adversaire toute la matinée, sans succès:
-Mais ce n’est pas
possible !m’emportai-je ? Personne ne veut nous
affronter, on passe la majorité de la journée à déambuler dans
les couloirs. Chaque fois que je propose un duel j’ai droit à des
regards surpris, désapprobateurs ou même à des sourires moqueurs.
-Ils ne te prennent pas
au sérieux, remarqua calmement Gabriel. C’est normal, pour eux, un
enfant ne peut pas savoir écrire correctement, dans leurs têtes
c’est techniquement impossible. La majorité des adultes est
malheureusement narcissique, penser que tu peux les égaler ou même
les dépasser dans leur domaine les met mal à l’aise au plus haut
point.
-Euh… Sans vouloir te
vexer il me semble t’avoir écrit comme étant un adulte, non ?
Le Faucon lâcha un petit
rire sec avant de répondre.
-Je suis ton héros,
c‘est toi qui m‘as écrit, je suis en quelque sorte un reflet de
ta personnalité, tout comme Marie… d’ailleurs où est-elle ?
Tiens, il disait vrai,
l’héroïne avait disparu durant notre conversation. Balayant le
couloir des yeux, je finis par la trouver, accroupie près d‘un
mur.
-Regarde Emmanuel,
lançait-elle en me voyant la rejoindre. C’est un petit chien, je
peux le garder ?
-Tu rêves ! C’est
sûrement le héros de quelqu’un, il n’est pas à toi.
Prouvant mes dires, un
sifflement nous parvint dans la foule, réagissant immédiatement, le
chiot disparut dans la horde d’écrivains et disparut.
-Tu vois, tu ne pouvais
pas le garder.
N’écoutant pas un
traître mot, Marie se pressa à la suite de l’animal. Obligés de
la suivre, Gabriel et moi nous faufilâmes parmi les auteurs qui
allaient et venaient pour enfin arriver dans une salle quasiment vide
contenant une arène moyenne.
- Elle n’est pas assez
stupide pour…
Je ne finis pas ma
phrase, mon personnage venait de pénétrer dans la cage en
poursuivant l‘animal. Le faucon eut beau sprinter pour y rentrer
également, les grilles se refermèrent avant, obligeant la guerrière
à combattre seule. De l’autre côté, regroupés en meute, une
quinzaine de loups grognaient après la nouvelle arrivante. Dans une
synchronisation parfaite, ils encerclèrent mon héroïne qui
comprenait enfin ce qu’il se passait.
-Qu’est ce que je
fais ? Se lamenta-t-elle.
-Comment ça ! Tu
t’es mise dans ce pétrin alors maintenant tu te bats.
-Mais je suis incapable
de leur faire du mal, ils sont si mignons.
Là il y avait un
problème, certes je ne l’avais pas écrite comme étant une brute
insensible mais tout de même, elle n’était pas non censée être
aussi mièvre. De plus, après la victoire contre le Petit Prince, ma
modification devait l’avoir rendue moins tendre durant les combats.
Relisant attentivement ce passage de sa description, je finis par
déceler l’erreur.
« Marie était
obligée, durant les affrontements, de mettre de côté son
incommensurable tendresse »
En effet, la phrase,
ainsi tournée, expliquait la scène. Ayant décuplé sa gentillesse,
elle ne considérait même plus la situation comme un combat et ne
pouvait pas mettre ses sentiments de côté, du moins c’était la
seule explication que je trouvais.
Dans l’arène les
loups ne perdaient pas leur temps à réfléchir, ils se lançaient,
l’un après l’autre, à l’assaut de leur cible. Celle-ci ne
ripostait pas, se contentant de placer ses bras devant elle, maigre
rempart que les prédateurs brisaient aisément. Je rayai rageusement
l’extrait posant problème et le remplaçai par trois mots, trois
petits mots qui devraient changer radicalement le combat, et tant pis
pour la soi-disant cicatrice.
« Pas de pitié »
A ce même moment, un
carnivore plus gauche que les autres ne réussit pas à souffler la
frêle défense érigée par mon héroïne et planta profondément
ses crocs dans son bras. Une immobilité totale gagna l’arène, au
centre, Marie n’avait pas changé physiquement, seul son regard,
l’aura qu’elle dégageait et ses tremblements de rage différaient
d’auparavant. Tous les loups, à l’exception de celui pendu au
bras de sa proie, le comprirent et se réunirent, comme pour
organiser une nouvelle stratégie.
-Saleté de clebs !
Ça t’amuse de me bouffer le bras !
Tout en hurlant, Marie
avait saisi le loup à la nuque et serrait de toutes ses forces, le
pauvre eut beau se débattre, les rôles venaient de changer, son
ancienne victime ne le lâchait pas et il finit par mourir étranglé.
Réduit à une boule de poils inerte, le cadavre s’affaissa au sol,
les autres canidés décidèrent d’attaquer à cet instant. Deux
premiers assaillants se lancèrent des deux côtés simultanément, à
leur grande surprise, leur cible regardait simplement droit devant
elle, immobile. Chargeant tout de même, ils bondirent simultanément
mais leurs mâchoires se refermèrent sur du vide.
Sortant de sa torpeur, la
guerrière avait en un instant reculé, dégainé et frappé. Ils
voulurent tourner la tête afin de voir où était passée la femme.
Trop tard. Avant d’avoir pu japper, les deux animaux rejoignaient
leur compagnon mort par terre, leur pelage teinté d’un long sillon
écarlate. L’attaque suivante, menée par une bête plus
majestueuse que les autres, ne comportait aucune tactique, le monstre
tout en muscles essayait de planter ses griffes dans la chair de mon
héroïne. Celle-ci se protégeait bec et ongles mais ne parvenait
pas à parer totalement les assauts portés sur son bras blessé.
Après quatre nouvelles
blessures, je me décidai à intervenir. Ellana m’avait expliqué
que les blessures faites à mon héroïne provoqueraient des dommages
au cahier contenant son portrait, en les réparant je la soignai
instantanément. Le cahier de Marie entre les mains, je réparai tant
bien que mal les déchirures et autres dégradations. Revigorée
instantanément, la combattante dévia in extremis une attaque visant
sa poitrine puis, dans le même mouvement, traça un long trait
cramoisi le long du corps du loup. A ce moment une alarme retentit.
-Infraction !
Infraction ! Il est interdit de soigner ses héros durant un
combat ! Pénalité moyenne infligée !
Soudain les bras et les
jambes de ma guerrière se retrouvèrent enchaînés à d’énormes
boulets pesant certainement plus d’une trentaine de kilos chacun.
Face à elle, les quelques ennemis restants disparurent, laissant la
place à un autre bien plus imposant. Mesurant deux bons mètres et
pesant facilement sa tonne, il se rua sur Marie qui, face à cette
créature, paraissait presque insignifiante. Ses titanesques griffes
raclaient le sol et sa gueule, remplie de crocs longs comme la main,
claquait dans le vide.
Ne pouvant bouger, mon
personnage fléchit les jambes et, réunissant toutes ses forces,
attrapa fermement les chaînes qui l’entravaient avant de lancer le
poids dans la tête de la montagne à pattes. Dans un craquement
sinistre, la mâchoire inférieure céda, pendant lamentablement dans
le vide. Profitant que la bête hurle de douleur, Marie réussit une
seconde fois à soulever les chaînes autour du large cou du loup. Il
eut beau se débattre, elle esquiva les quelques coups de griffes
désespérés tout en serrant plus fort encore. Quelques secondes
plus tard, la grille de l’arène se rouvrait et les boulets
disparurent, rendant mon héroïne à nouveau libre de ses
mouvements.
-L’auteur Emmanuel
passe à la 853ème place, bravo. L’auteur Jack London rétrograde
à la 548ème place, dommage.
L’annonce de ma
victoire m’enleva le stress du combat, il s’en était fallu de
peu et mon erreur aurait pu coûter cher à Marie. Une nouvelle fois,
la foule de curieux regroupés là m’acclamait, me sifflait ou me
regardait, contrariée. Malgré leurs sourires, je me doutais que
tous avaient espéré me voir perdre, les paroles de Gabriel me
revenaient en tête, ils n’admettaient pas que je puisse les
surpasser dans ce domaine.
Rejoignant le salon des
modifications, je réécrivis attentivement le passage effacé de la
description de mon héroïne et relus, au cas où, tout le livre ;
après quoi, rassuré de ne pas avoir trouvé d’autres passages
problématiques, je décidai d’aller voir les correcteurs afin de
leur soumettre mon nouveau héros.
L’endroit ne fut pas
dur à trouver, outre le fait que le chemin me soit resté en tête,
« l’hôpital » des correcteurs était adjacent à la
l’immense salle où se trouvait le panneau d’affichage géant.
N’étant pas pressé, je pris le temps d’observer cette grande
pièce qui, quand on y regardait de plus près, était on ne peut
plus étrange. Lors de mon premier passage, je n’y avais pas prêté
attention, et lors du deuxième j’étais escorté par des policiers
à la suite de la rébellion des personnages au salon des
modifications. Des petites cabanes en tôle occupaient toute la
longueur d’un mur, chacune d’entres elles étant gardée par des
hommes ou des femmes souvent vêtus d’habits amples et de
couvre-chef, si bien que leur visage restait invisible.
En passant près d’eux,
les personnes m’interpellèrent, me demandant de les laisser
m’exposer ce qu’ils avaient en stock ; curieux, j’acceptai
la troisième proposition que l’on me fit. Mon interlocuteur me
montra son repaire, m‘invitant sans doute à rentrer, je déclinai
son offre et, cherchant à assouvir ma curiosité, je lui demandai ce
qu’elle était (car il s’agissait bien d’une femme au son de sa
voix) et ce qu’elle faisait ici.
-Si tu es de
l’administration, je t’arrête tout de suite, je suis
parfaitement en règle et ce que je fais n’a rien d’illégal.
La rassurant sur mon
statut, la femme parut se détendre, à nouveau elle me montra la
porte de sa caban, à nouveau je déclinai l’offre.
-Petit, me dit-elle
calmement, si tu penses que je vais accepter de discuter ici avec toi
alors tu te trompes lourdement, si tu veux des informations, alors il
te faudra entrer. Si tu as peur pour ta sécurité, tu n’as qu’à
emmener ton héroïne, cela ne me dérange pas, au contraire. En
revanche je préférerais que tu laisses ton grand gaillard devant la
porte, cela évitera que nous soyons dérangés.
Je n’étais pas du tout
convaincu et commençais déjà à regretter mon désir de savoir.
Marie me regardait, je lisais dans ses yeux une pointe
d‘appréhension, mais sinon, elle semblait sûre d’elle,
confiante. Cette confiance dissipa ma propre inquiétude et
j’acceptai finalement d’entrer dans cette hutte métallique.
L’intérieur, plus exigu qu‘il n‘y paraissait vu de
l‘extérieur, était meublé de trois chaises disposées près de
ce qui devait être une fenêtre, ou alors un espace plus large entre
les tôles. En face, le long du « mur », une bibliothèque
contenait une grande collection de livres, la pénombre dans laquelle
nous nous trouvions m’empêchait de voir clairement, pourtant une
forme se détachait de l’ombre, dans le fond de la pièce. Notre
hôte ferma la porte, rendant l‘endroit encore plus sombre, et
s’affala sur une des chaises, là, plus détendue et sûre que
personne ne nous regardait, elle ôta son lourd manteau ainsi que le
tissu recouvrant sa tête. Malgré le peu de luminosité, je notais
une de chevelure blonde coupée assez court ainsi qu’un visage fin
aux traits marqués.
-Bien, commença-t-elle,
en quoi puis-je t’être utile ?
Je m’assis à mon tour.
-A vrai dire, je voulais
simplement savoir ce que vous faisiez, c’est la première fois que
je vous remarque et je dois dire que vous êtes assez intrigante.
Une lueur d’étonnement
éclaira ses petits yeux, lueur qui disparut très vite ; à la
place, notre interlocutrice posait sur moi un regard intéressé.
-Tu n’es pas venu ici
pour faire une transaction ? Même pas une toute petite
information ? Tu es sûre ?
J’acquiesçai. La femme
soupira :
-Les affaires sont dures
depuis quelque temps, je pensais vraiment que tu venais pour troquer.
-Vous troquer quoi ?
interrogea mon personnage.
Notre interlocutrice
afficha un large sourire en direction de Marie :
- Je suis un dealer. Je
suis surtout porté sur le trafic d’héroïne, et toi ma chère tu
me parais être de très bonne qualité.
Mon sang ne fit qu’un
tour :
-Du trafic d’héroïne
? M’écriai-je. Vous voulez dire que les livres qui sont là-bas…
-Oui, continua calmement
la négociante, il s’agit de mon stock d‘héroïne. Je les
échange avec les autres auteurs contre des places ou contre des
informations que je revends ensuite à d’autres, tout cela dans le
but de grimper au classement, petit à petit, sans jamais, ou
presque, avoir à combattre, si se n’est de temps en temps,
histoire de tester mes nouvelles acquisitions.
-Mais c’est stupide,
qui irait vous acheter des héros ?
-Crois-moi, ils sont plus
que tu ne le crois, souvent des écrivains qui sont arrivés ici
grâce à leur imagination mais qui dans leurs écrits ne possèdent
pas de personnages pouvant faire de bons combattants. Et puis il y a
aussi les amateurs de trésors, car cela peut t’étonner mais je
dispose de quelques ouvrages très précieux.
Je n’en revenais pas,
l’existence de ces trafics ainsi que le manifestant de la dernière
fois brisèrent la vision idyllique que je m’étais fait du monde
des libres artistes. La revendeuse s’amusa de voir mon expression
dépitée.
-Ne fais pas cette tête,
petit, comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est parfaitement
légal, si cela peut te consoler, tu peux nous considérer comme des
informateurs, des indics, ou comme des antiquaires, à toi de voir.
Personnellement je me considère comme une collectionneuse.
-Mais tous ces livres, où
les avez-vous trouvés ?
-Ha ça, c’est un
secret, mes fournisseurs tiennent à rester anonymes. Crois-le ou
non, j’en ai même déjà trouvé plusieurs par terre !
Elle se stoppa un
instant, son regard se durcit, elle me fixa avec insistance, essayant
de lire sur mon visage une quelconque réaction :
-Hier soir par exemple,
j’en ai ramassé un qui était tombé pas très loin d’ici, et
crois-moi il s’agit d’un personnage connu, un ouvrage très…
Nouvelle pause, ses yeux
ne me quittaient pas, ses lèvres s’étirèrent en un sourire
malicieux, son dernier mot fut à peine audible, un simple murmure :
-Recherché…
Elle était crispée, les
mains croisées derrière le dossier de la chaise, elle continuait à
relever le moindre de mes changements d’attitude.
-Et alors, demandai-je,
qu’allez-vous faire de cette œuvre si importante ?
-Eh bien, si son
propriétaire désire la récupérer, il n’a qu’à venir la
chercher, je n’ai aucune intention de lui rendre gratuitement et le
prix pour mon silence sera assez cher.
-Mais c’est du vol !
M ‘écriai-je en bondissant de mon siège.
Après mon exclamation,
tout se passa très rapidement, trop rapidement pour que je puisse
réagir. En me voyant me lever, la dealeuse remua ses mains dans son
dos, j’entendis un bruit de papier que l’on déchire, moins de
deux secondes plus tard, deux silhouettes apparurent derrière elle,
se détachant de la pénombre environnante. D’un bond, les
apparitions se jetèrent sur nous, l’une d’elles me plaqua au sol
tandis que l’autre se glissait dans le dos de Marie et la ligotait
à sa chaise.
Les ténèbres entourant
les agresseurs disparurent peu à peu, ils s’agissaient d’héroïnes.
Je ne voyais de ma tortionnaire qu’une longue chevelure sombre qui
pendait devant mes yeux, en revanche ma guerrière se trouvait face à
une femme plutôt grande, dont le corps était constitué de flamme,
une ifrit. Alerté par le bruit, Le Faucon tambourinait contre
la porte aussi fort qu’il pouvait en hurlant qu’on vienne lui
ouvrir. Après s’être assuré qu’aucun de nous ne pouvait faire
le moindre geste, l’auteur s’approcha, et se pencha vers mon
visage :
-Cette porte peut
résister à n’importe quelle attaque, tant que je n’aurai pas
décidé le contraire, elle restera fermée, alors dis à ton héros
que tout va bien et qu’il se calme ou mon personnage assis sur toi
te saignera comme un porc.
Sa voix, glaciale, ne
laissait transparaître aucune émotion. Préférant ne pas vérifier
si ses menaces seraient mises à exécution, j‘obéis.
-Tout va bien, Gabriel,
continue de surveiller l’entrée.
Evidemment le sniper n’en
croyait pas un mot, cependant il cessa de cogner contre le battant et
reprit sa garde en grommelant.
-Bien, maintenant nous
pouvons discuter calmement, première question, quel est ton nom ?
-Emmanuel.
-D’accord, ensuite,
quel genre de texte écris-tu ?
-Des livres fantastiques,
des nouvelles ou des petites histoires.
-Pas de poésie ?
Je fis non de la tête,
ma réponse sembla déplaire à ma geôlière qui fit un signe de
tête à l’héroïne enflammée, laquelle appliqua un de ses doigts
incandescents sur l’épaule de Marie. Celle-ci hurla de douleur
lorsque le feu commença à brûler sa peau.
-Un peu de poésie,
hurlai-je, je me suis essayé à la poésie mais seulement pour
tester, après je suis retourné aux romans.
-Si tu me mens, je fais
rôtir ton personnage à petit feu.
-Je ne mens pas.
Une nouvelle fois
l’esprit ardent dirigea son doigt vers sa prisonnière.
-Je le jure ! Je n’écris
pas de poésie.
L’héroïne de flamme
stoppa, la dealeuse lui fit signe de reculer.
-Très bien, je vais te
croire, mais attention, au moindre geste je te flambe sur place. Méta
relâche la fille.
Le corde qui bloquait
Marie frétilla et tomba au sol ; là, le cordon se changea en
une nouvelle héroïne qui se rangea près de sa camarade ardente.
-Au vu de ce qui s’est
passé j’en déduis que le livre que j’ai trouvé ne t’appartient
bel et bien pas.
-Bien sûr que non, je
vous l’ai dit j’étais simplement curieux de connaître ce que
vous faisiez, mais si j’avais su il ne fait aucun doute que je ne
vous aurais même pas approché.
Notre hôte changea du
tout au tout, son visage impassible laissa place à une expression
inquiète et gênée ; retournant près de sa chaise elle
s’assit en soupirant.
-Je suis vraiment navrée
de ce que je vous ai fait subir, à vrai dire je t’avais vraiment
pris pour le propriétaire du livre.
-Et vous réservez cet
accueil à tous vos clients ? Pas étonnant que personne ne
vienne !
Riant tristement, la
dealeuse fixa l’ombre dans la zone d’ombre dans le fond de la
pièce :
-C’est-à-dire que le
client que j’attends est très particulier, d’ailleurs je ne
serais pas surprise que ce soit lui qui s’énerve en ce moment même
après ton héros qui monte la garde.
En effet, en tendant
l’oreille, je percevais les bruits d’une dispute, j’entendais
la voix monocorde de Gabriel qui répondait à chaque phrase du
visiteur que l’entrée était interdite, ce qui exaspérait encore
plus l’auteur.
-Je pense qu’il est
temps que tu t’en ailles, mais pour ta sécurité je te recommande
de prendre la sortie de derrière, on ne sait jamais ce que pourrait
faire cette personne.
Après l’interrogatoire
pour le moins musclé que je venais de subir, l’entendre se soucier
de ma sécurité paraissait presque comique, mais son visage fermé
et son regard dur, eux, me coupaient toute envie de rire.
Sur ce, la femme me
montra la sortie de secours que je m‘empressai d’utiliser. Une
fois sortis, se fondre dans la foule ne nous posa aucun problème, il
fallait maintenant récupérer Gabriel qui empêchait toujours
l’homme d’entrer. Heureusement, le dealer se chargea de cela ;
sortant de sa cabane, elle glissa quelques mots à mon héros qui
s’en alla immédiatement après. Quand le mystérieux visiteur fut
rentré dans la planque, nous rejoignîmes le Faucon, lequel
vagabondait au hasard sans la salle ; arrivé à son niveau, je
l’interrogeai sur l’identité de l’homme.
-Je ne sais pas,
répondit-il, son capuchon m’empêchait de voir son visage, en tout
cas il semblait très irrité et pressé de voir cette femme. Même
quand je suis parti il s’est retourné et m’a regardé m’en
aller.
Ne voulant pas m’attarder
ici, je proposai de nous faire ce que nous avions prévu, à savoir
aller voir les correcteurs. L’épisode du rendez-vous avec la
dealeuse d’héroïne soulevait trop de questions auxquelles je ne
pouvais pas encore répondre et sur lesquelles je ne voulais pas me
pencher pour l’instant.
En entrant, un
personnage vêtu d’une blouse blanche vint à notre rencontre,
lorsque je lui expliquai la raison de notre visite, il nous conduisit
dans une salle d’examen et nous demanda d’attendre les
correcteurs. L’endroit, d’un blanc immaculé, faisait penser à
une cellule d’hôpital psychiatrique, il ne manquait que les parois
capitonnées, au plafond pendait une lampe qui diffusait une lumière
blafarde, un bureau, blanc également et sans chaise, constituait,
avec une table d’opération, les seuls objets de la pièce. Dans le
fond, les portes s’ouvrirent sur une paire de personnages pour le
moins étonnant. Le premier, certainement un homme, ne possédait pas
de corps à proprement parler, il s’agissait plutôt d’un
assemblage complexe de milliers d’aiguilles, lesquels formaient un
semblant de silhouette humaine, quant à son visage, on retrouvait à
s’y méprendre le même faciès que celui d’une citrouille
d’Halloween. Le deuxième quant à lui n’avait pas de visage et
pas de bras non plus, il ressemblait assez à une allumette avec des
jambes ; l’image me fit sourire. Les deux créatures
s’approchèrent de nous, l’homme- aiguille prit la parole :
-Nous sommes des
correcteurs, que pouvons-nous pour vous ?
Un frisson me parcourut
quand mon regard se posa sur les orbites vides.
-Ne t’en fais pas
garçon, je vois très bien.
La remarque me fit sortir
de ma torpeur.
-Je suis venu faire
corriger mon héros.
L’examinateur se
retourna vers Gabriel, lequel ne sourcilla pas, même quand le
correcteur s’approcha de lui.
-Très bien, poursuivit
l’homme-aiguille, veuillez remettre l’écrit à mon collègue.
Le dit collègue marcha
dans ma direction ; alors que je me demandais de quelle manière
il pourrait tenir l’ouvrage, la solution s’imposa à moi. A un
mètre de moi, il commença à se dandiner, la signification de cet
étrange balancement ne tarda pas à se faire connaître quand deux
membres poussèrent de part et d’autre du tronc, d’abord
minuscules puis de plus en plus grands, jusqu’à devenir de
véritables bras.
Ouvrant de grands yeux
ébahis, je lui tendis le livre. Il le saisit délicatement et s’en
alla vers le bureau, là il déposa l‘œuvre et se pencha jusqu’à
ce que sa tête touche le papier. L’opération m’intriguait et je
me risquai à m’approcher pour observer ce que faisait l’homme
sans visage. Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant qu’au
milieu de son figure trônait désormais un nez qui reniflait
bruyamment les pages de la description. Il sentait, lignes après
lignes, mots après mots, renversant quelquefois la tête en arrière
pour expirer. A chaque faute, le nez se stoppait, le héros dépliait
alors un de ses longs doigts et le posait à l’ endroit de
l’erreur, on entendait alors un bruissement de feuilles, après
quoi l’homme recommençait à humer les pages. A la fin de la
description, le correcteur se redressa, l’arrière de son crâne
lisse se rida, la peau se tordait, remuait jusqu’à ce qu’une
bouche apparaisse :
-J’ai terminé mon
travail, articula-t-elle. Où en es-tu ?
-Il me reste encore
quelques petites choses à faire, siffla l’aiguille.
Obligé d’attendre,
l’homme redevenu sans visage se tourna vers mon héroïne et tendit
un doigt dans sa direction. Au bout de l’index se trouvait un œil,
détail qui tira à Marie un cri d’horreur. Sans faire attention à
la réaction de la guerrière, le correcteur pivota vers moi, une
nouvelle bouche se modela dans la paume de sa main :
-Veux-tu qu’en
attendant je vérifie ton héroïne ? On ne sait jamais, une faute
aurait pu être oubliée.
Mon personnage, apeuré,
remuait énergiquement la tête en espérant que je suive son avis.
-Ce n’est pas la peine,
répondis-je, elle a déjà été corrigée.
La bouche soupira
-Dommage, elle semblait
si… délicieuse.
Sur ce, l’individu
tourna les talons et s’en alla par où il était venu, nous
laissant avec son collègue, lequel examinait minutieusement le corps
du personnage, faisant glisser les aiguilles qui lui servaient de
main le long de la peau du héros. Au bout d’un moment, les
aiguilles se figèrent près de l’épaule du Faucon.
-Serre les dents, cela
risque de faire mal.
Le sniper n’eut pas le
temps de s’interroger, cinq longs doigts acérés se plantèrent
profondément dans la chair. Gabriel étouffa un hurlement, tous ses
muscles se bandèrent afin d’essayer de contenir la douleur. Le
long de la plaie s’écoulait un liquide noir et épais.
- Un résidu d’encre,
expliqua le correcteur, c’est ça qui, en trop grand nombre,
déclenche des accès de folie.
L’abcès suinta encore
quelques secondes avant de s’arrêter totalement. L’homme-aiguille
vérifia rapidement le reste du corps avant de déclarer, satisfait,
que tout allait bien.
-Vous pouvez y aller, ce
personnage est désormais sain.
Rassuré de enfin pouvoir
quitter cet endroit, je récupérai le livre sur le bureau et
m’empressai de sortir de là.
-Je ne veux plus jamais
retourner là-dedans, s’exclama Marie, ces types font froid dans le
dos.
J’étais bien d’accord
avec elle, seulement après avoir été témoin d’un des accès de
folie cités précédemment, je préférai encore endurer les
correcteurs.
Afin de nous changer les
idées, nous cherchâmes de nouveau un adversaire, encore une fois
sans succès. Je tentai d’utiliser la même méthode que Jack
London mais malheureusement, ayant une nouvelle fois personnifié ma
création, l’animal déclarait à ceux qui s’approchaient qu’il
n’était qu’un appât afin de les attirer dans un combat, ce qui
ne nous aidait pas du tout. Malgré le souhait de Marie qui était de
garder le nouveau « toutou parlant », je le supprimai
totalement.
Le soir venu, nous
retournâmes à notre chambre, et, comme la veille, je m’isolai au
bureau pour continuer ce que j’avais entrepris le jour précédent
et finis par m’assoupir.
Le lendemain s’annonçait
cependant différent ; dès le lever, en sortant de la chambre,
je remarquai une effervescence inhabituelle. Tout le monde courait
dans tous les sens, affichant des visages affolés et tenant dans
leurs mains un papier .Curieux de connaître la raison de cette
agitation, j’interpellai un homme qui passait :
-Vous n’êtes pas au
courant, s’étonna-t-il, l’administration a fait passer un
message au sujet du tueur.
Il me conseilla ensuite
d’en demander un exemplaire au salon des modifications. Sans tarder
je me procurai le fameux document et m’installai à une table pour
le lire :
« Suite
à la découverte de deux nouveau corps, de toute évidence dus au
tueur en série sévissant depuis peu, quelques nouvelles règles ont
été décidées et seront appliquées dès ce soir.
1)
Les auteurs devront impérativement regagner leurs appartements à
10h00, 10h30 au plus tard. Après cette heure les portes des chambres
seront automatiquement fermées et ne se rouvriront que le lendemain
matin à 6h00. Tout auteur arrêté dans les couloirs entre ces
heures sera considéré comme suspect et interpellé par les forces
de l’ordre.
2)
Toute personne agissant de manière suspecte pourra être interpellée
par les forces de l’ordre.
3)
Tout acte violent hors des duels sera considéré comme une agression
et leurs auteurs seront interpellés par les forces de l’ordre.
4)
Un agent des forces de l’ordre peut à tout moment demander à un
écrivain de lui montrer ses livres afin de les contrôler, si
l’écrivain refuse alors il sera interpellé par l’agent en
question »
L’administration
comptait visiblement beaucoup sur sa police, il fallait s’attendre
à croiser de plus en plus d’agents de sécurité dans les
couloirs. La situation devenait cependant grave, un tueur se baladait
librement dans les couloirs du monde des libres artistes et personne
n’était encore parvenu à l’arrêter.
En plus de mon repas je
commandai un nouveau cahier, avec ce psychopathe en liberté, je
jugeais plus prudent de renforcer mes troupes en y rajoutant un
nouveau personnage. Marie était une guerrière, Gabriel une sorte
d’archer, il me manquait encore un style : près, loin, discret,
tels étaient les trois critères que je m’imposais. En vérité,
je me doutais que « magique » pouvait aussi être
rajouté, en effet, il ne me semblait pas que Harry Potter et tous
ses amis étaient des guerriers renommés.
Mon plat terminé, je me
mis immédiatement au travail, inutile pour l’instant de s’évertuer
à façonner le moindre détail, il me fallait tout d’abord créer
les base de mon personnage, son histoire et les précisions sur son
comportement seraient rajoutées ce soir.
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