Anna se trouvait dans un
étroit couloir qui bifurquait à une dizaine de mètres, l’autre
héros n’était pas là, pourtant ils étaient rentrés à quelques
secondes d’intervalle, avait-il déjà pris de l’avance ? Si
tel était le cas, alors mieux valait se dépêcher. L’assassine
marcha dans la seule direction qui lui était permise. Quelques pas
après la bifurcation, l’héroïne se trouva face à une large
porte de bois noir. Sans prendre de précautions, elle tourna la
poignée :
-Qui va là ?
La voix provenait de
l’autre côté du battant, une voix dure et forte. Face à
l’absence de réponse, le garde ouvrit violemment la porte.
Mon personnage, tenant
toujours la poignée, fut emporté par la force du gardien et le
percuta de plein fouet ; l’homme tituba, surpris de la
présence de la jeune femme ainsi que du coup qu‘il venait de
recevoir. L‘Amante, tout aussi surprise, se releva d’un bond et
fondit sur son ennemi, se glissant dans son dos, elle lui assena un
coup sec dans la nuque.
Son combat terminé,
elle prit le temps d’observer la pièce dans laquelle elle se
trouvait ; en plus de celle se trouvant derrière elle, deux
autres portes donnaient sur deux nouveaux corridors. Un lourd lustre
pendait au plafond, les meubles en bois précieux richement sculptés
et les tapis couvrant le sol indiquaient qu’il s’agissait bien
d’un manoir et que son propriétaire devait posséder une fortune
immense.
Ne se souciant guère du
faste de la salle, l’héroïne poursuivit son chemin, optant au
hasard pour la porte à sa droite, de nouveau un couloir la mena dans
une grande salle qui, cette fois, ne possédait aucun vigile. Encore
une fois deux chemins s’offraient à Anna, elle choisit de
continuer tout droit. Les salles s’enchaînèrent, parfois gardées
et parfois non, après un quart d’heure de recherche infructueuse,
l’assassine s’autorisa une pause et s’affala dans un long
canapé de soie rouge. Toutes les pièces se ressemblaient et le
sentiment de tourner en rond la tenaillait. Pour se rassurer, avant
de reprendre sa recherche, l’héroïne grava une croix sur un des
murs, une trace bien visible qui lui permettrait de reconnaître
l’endroit si jamais elle revenait. Elle s’apprêtait à repartir
quand une porte s’ouvrit, Arsène Lupin entra, marchant
tranquillement, sa canne accrochée à son bras, bien droit, sans
faire aucun effort de discrétion. Le voleur admirait le mobilier et
ne remarqua pas tout de suite la jeune femme qui l’observait,
atterrée par son insouciance.
-Tiens! S’exclama-t-il
en prenant enfin conscience de sa présence. Mais voilà donc ma
chère adversaire.
Il s’inclina
respectueusement et retira son chapeau.
-Ne trouvez vous pas ce
bâtiment fort bien décoré, jeune demoiselle ? Je n’ai pas
encore eu le plaisir de tomber sur le masque mais je dois avouer que
je me contenterais bien de quelques –unes de ces toiles qui ornent
les murs.
Anna ne répondait pas,
elle gardait les mains crispées sur ses armes, détail qui n’échappa
pas à Lupin.
-Voyons très chère, ne
soyez pas si tendue, je ne désire aucunement me battre.
Rien n’y faisait, elle
refusait de baisser sa garde.
-Si vous continuez ainsi,
je devrais moi aussi me préparer au combat, chose que je ne désire
pas particulièrement.
Finalement l’amante
rengaina ses dagues et s’avança vers l’homme d’une démarche
chaloupée.
-Effectivement, il s’agit
d’un bien bel endroit.
Elle continuait de se
rapprocher, posant sur Lupin ses grands yeux verts. Son regard
envoûtant charma le voleur.
-Quelle grâce, j’ai
peine à croire qu’une aussi belle femme que vous se batte !
Et, mettant un genou à
terre, il lui baisa la main.
-Les femmes sont bien
mystérieuses, jubila-t-elle, et à être trop sûre de soi on finit
par le payer.
D’un geste vif,
l’assassine porta sa main libre à sa hanche pour attraper sa lame,
le gentleman cambrioleur venait de terminer son baisemain et,
réagissant promptement, profita de sa position pour tordre le
poignet de mon héroïne qui stoppa son mouvement pour hurler de
douleur.
-A qui donc s’adressent
ces mots ? A vous ou bien à moi ?
A force de se débattre,
mon personnage parvint à se libérer et recula hors de portée de
son adversaire
-Puisque vous le prenez
ainsi il ne me reste qu’une solution.
L’homme dégaina une
longue épée de sa canne et la pointa vers Anna, laquelle
brandissait également son arme devant elle. Les deux combattants
restaient immobiles, Lupin bougea en premier, fléchissant les
jambes, il s’élança droit vers son opposant. Prête à parer
n’importe quelle attaque, l’assassine resta bouche bée quand, à
quelques mètres d’elle, le voleur changea soudain de direction et
s’enfuit par une des portes. Mon personnage restait seul, stoïque,
sous le coup de la surprise, puis, prenant enfin conscience que son
adversaire s’était éclipsé, elle se rua à ses trousses. Les
deux personnages se poursuivaient à travers les salles, le voleur ne
montrait aucun signe de fatigue, mais sa poursuivante ne démordait
pas et gagnait peu à peu du terrain. Ils arrivèrent enfin dans une
pièce où quatre gardes défendaient une seule et même porte, au
même moment Anna se jetait sur sa proie et la plaquait au sol, lui
faisant lâcher son arme.
-A moi ! S’écria le
voleur. Cette femme est folle, messieurs, je vous en prie, venez-moi
en aide !
Rejoignant les deux
héros, les gardiens attrapèrent mon personnage et la jetèrent
violemment un peu plus loin. Lupin, croyant que sa ruse avait
fonctionné, se releva d’un bond et ramassa son arme. Sa joie fut
de courte durée, les quatre hommes se retournèrent vers lui, bien
décidés à ne pas le laisser s’échapper.
-Je vous aurais cru plus
stupide, veuillez m’excuser, je ne recommencerai plus, et si je
vous ai vexé, je m’en excuse aussi.
Un grognement répondit à
sa phrase. Obligé de se battre, le Leblanais jeta derrière
lui son chapeau troué et retroussa ses manches. Puis, plus à l’aise
dans ses mouvements, il frappa le premier homme, plantant la lame
dans son l’épaule, l’acier rentra sans peine dans la chair du
malheureux qui gémit de douleur mais qui n’abandonna pas pour
autant, saisissant la main armée de l’épéiste, il l’attira à
lui et frappa, un coup puissant dans le ventre qui plia Lupin en
deux. En se redressant, le héros fut accueilli par un nouveau coup,
cette fois porté au visage, qui l’envoya au tapis, à moitié
évanoui.
Il fallait préciser que
les gardes, au visage patibulaire, mesuraient près de deux mètres
et possédaient des bras démesurés aussi larges que des troncs
d’arbre, et la comparaison n’était pas si exagérée que cela.
Dans leurs dos, mon
héroïne s’était relevée et se faufilait à pas de loup vers
l’entrée que gardaient jusque là les brutes. Tournant la poignée,
Anna eut la mauvaise surprise de découvrir la porte fermée à clé ;
pour couronner le tout, les sentinelles repérèrent l’assassine et
se jetèrent sur elle.
Faisant preuve d’une
grande agilité et d’une souplesse étonnante, elle louvoya entre
trois des hommes et acheva le quatrième, déjà blessé par Lupin,
en lui traçant une longue estafilade le long du ventre.
En voyant leur compagnon
s’écrouler, les visages des combattants se durcirent encore plus,
les sourcils froncés et la mâchoire crispée, l’un d’entre eux
s’avança de deux pas. Après avoir jeté un dernier regard sur son
ami mort, il s’avança d’une démarche pesante vers son
opposante, autour de son cou brillait une petite clé attachée à
une chaîne dorée. Mon personnage attaqua dès que le colosse fut à
portée, une grosse main attrapa son bras et la souleva hors du sol.
Plus elle essayait de se dégager et plus l’étau se serrait, lui
tirant une grimace de douleur, son autre main frappait désespérément
la montagne de muscles, ses maigres poings ne dérangeaient
aucunement l’homme qui continuait de serrer le bras de l’héroïne.
Alors que tout semblait
perdu, une épée traversa le corps du géant jusqu’à la garde,
rentrant entre les omoplates et ressortant de l’autre côté au
niveau du torse. Arsène Lupin s’était relevé et, une fois son
arme récupérée, s’était fendu de tout son long pour porter au
gardien ce coup mortel. De rage, le blessé utilisa Anna comme arme
et la projeta contre le voleur qui fut percuté de plein fouet par
l’héroïne. De nouveau au sol, les deux personnages peinaient à
retrouver leurs esprits.
L’assassine se releva
en premier et, avisant son adversaire qui se rapprochait d’elle à
grands pas, elle prit ses jambes à son cou et s’enfuit de nouveau
vers la porte fermée ; dans sa main la clé pendait à la
chaînette dorée arrachée du cou de son propriétaire. La porte se
déverrouilla et Anna s’apprêtait à entrer quand elle vit,
derrière elle, le personnage voleur qui, courant à en perdre
haleine, la suppliait de l’attendre. Encore quelques mètres les
séparaient quand une réalité s’imposa à elle, il s’agissait
d’un ennemi. L’héroïne ferma la porte et tourna la clé dans sa
serrure, de l’autre côté du battant elle entendait les gardes qui
se ruaient sur Lupin.
La nouvelle salle,
éclairé de projecteurs pendus au plafond, ne comportait qu’une
colonne sur laquelle trônait le masque, les murs blancs ne
comportaient aucun ornement et ne présentaient aucune fissure ou
anfractuosité, le sol de marbre était absolument lisse. Le visage
d‘or, incrusté de pierres précieuses, à l’expression neutre,
attendait là, sur son piédestal. La lumière qui l’inondait
ricochait sur les gemmes et reflétaient mille couleurs sur les
parois immaculées, des milliers de taches colorées dansaient dans
la pièce, allant du bleu au rouge.
Méfiante, Anna fit
d’abord le tour de la pièce afin de vérifier qu‘aucun piège ne
se déclencherait puis, rassurée, elle s’approcha du trésor et le
saisit délicatement. Evidemment tout cela ne pouvait pas être aussi
simple, à l’ instant où l’objet quitta son présentoir, un
grondement parcourut la salle, un large pan de mur disparut ;
derrière, dans un endroit sombre ne comportant aucun éclairage, se
trouvait une horde de fauves rugissant. La captive pâlit à la vue
des animaux qui se rapprochaient, n’ayant d’autre choix que la
fuite, elle revint vers la porte, l’ouvrit, et se retrouva nez à
nez avec les gardes. Refermant vivement, elle fit face aux félins,
lesquels avançaient, lentement, leurs yeux rivés sur leur proie, ne
lui laissant aucune issue possible.
Des deux morts probables
qui l’attendaient, l’héroïne choisit celle qui lui parut la
moins douloureuse ; de nouveau face aux deux colosses, elle se
mit en garde, décidée à se battre jusqu’au bout. Le combat
auquel elle s’attendait n’eut cependant pas lieu, les hommes, en
voyant s’avancer les tigres, léopards, guépards et autres
carnivores à quatre pattes, prirent peur et s’enfuirent à toutes
jambes.
Miraculeusement
débarrassée de ses ennemis, la jeune femme ne tarda cependant pas à
les imiter quand un détail la perturba : qu’était devenue
son autre adversaire ?
Avisant une trace de
sang sur le sol qui continuait jusqu’à disparaître derrière une
porte, on pouvait en déduire qu’il était parvenu à s’échapper,
blessé mais encore en vie. Retrouver son chemin ne fut pas
difficile, quand sa mémoire lui faisait défaut, les grondements
dans son dos lui rafraichissaient la mémoire. Devant la dernière
porte du dernier corridor qui la séparait de nous, elle trouva
Lupin, le bras tout ensanglanté, qui lui interdisait l’accès.
-Ce n’était pas très
gentil, ironisa-t-il, aucune femme ne m‘avait encore fait cela,
allons, donne- moi le masque et j’essayerai de tout oublier…
Il s’apprêtait à
poursuivre sa phrase lorsqu’un rugissement bestial couvrit sa voix.
Dans le dos de mon personnage, un jaguar lancé à plein vitesse
sauta par-dessus l’héroïne et se jeta sur le voleur, enfermant la
tête du Leblanais dans sa gueule. Dernière survivante, Anna
s’éclipsa sans demander son reste. Derrière moi, Maurice Leblanc
pestait contre son héros mort. Ma championne ne tarda pas à nous
rejoindre, brandissant le masque comme un trophée au-dessus de sa
tête.
Mis à part quelques
hématomes et des entailles bénignes, elle ne semblait pas être
gravement blessée. Les deux parieurs s’avancèrent l’un vers
l’autre, le perdant tendit devant lui le livre que je l’avais vu
parcourir avant notre combat, puis, en silence, sortit de la salle,
la tête basse et son chapeau rabattu pour couvrir ses yeux ; de
notre côté, l’imitation d’Emma nous reconduisit vers sa
propriétaire. Mais, à la moitié du trajet, l’héroïne stoppa
net :
-A partir d’ici je vous
laisse continuer seuls, expliqua-t-elle de sa voix toujours aussi
inexpressive, prenez ce livre et donnez-le à ma maîtresse.
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