lundi 25 août 2014

trucage

Retrouver le chemin ne fut pas une partie de plaisir. Même si, avec l’habitude, je commençais à acquérir quelques repères, les couloirs et les salles qui s’enchaînaient se ressemblaient toutes. Arrivé dans la cabane, je retrouvai la lampe gardienne qui me fit rentrer dans la chambre coffre fort, mes héros quant à eux devaient attendre dehors. L’auteur se trouvait à la même place que lors de ma première visite, si se n’est que cette fois elle tenait un livre de personnage entre les mains.

-Je te dois une fière chandelle, me lança-t-elle en m’entendant entrer, j’ose espérer que tu as gagné ?

En toute réponse je lui remis l’ouvrage contenant la description du prince des voleurs ;

-Me voila maintenant propriétaire du fameux Arsène Lupin !

Elle me gratifia d’un grand sourire avant de continuer, plus sérieusement :

- Maintenant que je suis payée, tu peux me poser toutes les questions que tu veux, cela va de soi.

-Je suis assez étonné de voir que Maurice Leblanc ait accepté de parier un héros comme Lupin.

-Ho ! ça ? Leblanc désirait des livres de ma collection assez précieux, cela n’a pas été facile mais j’ai réussi à le faire parier. Avant que tu ne demandes, le héros qu’il voulait était Alice au pays des merveilles.

- Vous avez dans votre collection un personnage aussi mythique ?

Le compliment fit sourire mon interlocutrice qui se redressa fièrement :

-Et oui, mais ce n’est que une de mes raretés. Mais passons, tu n’as pas fait tout cela simplement pour parler de mes trésors n’est-ce pas ?

-Sais-tu qui est le tueur en série ?

-Je n’ai aucune certitude là-dessus, ce que je sais s’est qu’il s’agit de l’homme qui était venu récupérer son livre lors de notre première rencontre. Ton héros l’a vu, il pourra te le décrire mieux que moi qui, dans l’obscurité de mon bureau, ne distinguai pas son visage.

-Et tu n’as aucune autre information qui pourrait m’aider ?

-Si ce que je t’ai dit est vrai, alors j’ai les initiales du tueur : J.L. Malheureusement je n’ai pas pu transmettre ces informations à qui que ce soit mis à part toi, tous les éclaireurs que j’envoie se font tuer. Tiens, le clone de moi qui vous a conduit jusqu’au combat, eh bien, il est mort.

La nouvelle me fit l’effet d’une douche froide, l’héroïne savait-elle qu’elle était visé et a-t-elle choisi que l’on se sépare pour attirer le tueur ? Était-ce une coïncidence et alors si nous avions continué notre chemin ensemble le meurtrier nous aurait attaqués tous la fois ? En revanche ma récompense me paraissait bien faible en comparaison de ce qu’il m’avait fallu faire, de simples initiales et un vague espoir de portrait de ma part de Gabriel.
Malgré tout, je repartis dans ma chambre, ma question n’ayant trouvé que des demi-réponses. En chemin, je demandai au Faucon de nous décrire l’homme qu’il avait empêché de rentrer dans la cabane de la dealeuse.

-Je ne l’ai pas vraiment vu, il portait un capuchon et un long manteau qui ne laissait rien voir de sa physionomie. Tout ce que j’ai remarqué, c’est de longs cheveux noirs un peu bouclés, et un grand nez crochu.

En effet, la description ne m’avançait pas beaucoup.




Après s’être restauré au salon des modifications, il fut décidé que l’après -midi serait consacré à nous reposer. Ne désirant pas rester enfermé dans la chambre, je proposai de chercher la sorte de parc visible depuis notre fenêtre ; l’idée fut acceptée avec joie et, une demi-heure plus tard, nous nous prélassions, couchés dans l’herbe, et profitions de chaque rayon du soleil.
Malgré toutes mes tentatives de rapprochement, Marie refusait toujours de me parler, son entêtement finit d’ailleurs par m’exaspérer, quoi que je fasse, quoi que je dise, rien n’y faisait et son visage restait fermé.
De nombreux auteurs profitaient du magnifique temps pour se reposer, comme nous, s’offrant une pause dans ce monde fantastique, un temps mort entre les combats. Dans ce grand carré de verdure, personne ne se souciait du classement, de la guerre ou même du tueur en série, tous les problèmes étaient mis de coté l’espace de quelques heures. Lorsque le soleil disparut derrière les bâtiments, nous rentrâmes manger, après quoi, dans un silence de mort, nous rejoignîmes notre chambre où chacun partit se coucher.




Les rayons qui filtraient au travers des volets me réveillèrent très tôt, la chambre était encore plongée dans la pénombre. Dans le lit, Marie, enroulée dans la grosse couverture, dormait paisiblement ; à côté d’elle, Anna, n’ayant rien pour se réchauffer, s’était recroquevillée en position fœtale. Le faucon se tenait debout, adossé contre un mur.
-Tu ne dors pas ? Lui glissai-je le plus doucement possible

-Je n’ai plus sommeil, c’est toi qui m’as créé, tu dois savoir que je n’ai pas besoin de beaucoup de repos.

Effectivement, je me souvenais de cette caractéristique. Me levant à mon tour, je partis comme, chaque matin, prendre mon petit déjeuner. Alors que je mangeais tranquillement mes tartines, une silhouette que je reconnus instantanément s’assit à côté de moi. Me toisant durement, elle finit par m’interroger d’un ton glacial.

-Marie m’a tout dit, tu t’es transformé en héros ?

-Oui.

Ma réponse sembla lui déplaire, elle haussa le ton.


-Tu es conscient de ce que cela implique. Pour toi, la bataille sera décisive, tu devras obligatoirement gagner si tu veux en sortir vivant.

Que croyait-elle, bien sûr que je le savais, mais je ne pouvais de toute façon pas faire demi-tour, c’était trop tard. Voyant que j’étais déterminé, elle posa la main sur mon épaule et me dit, d’un ton solennel :

-Dans ce cas, quand nous nous verrons sur le champ de bataille, je devrai te tuer, même si cela ne me fait pas plaisir, je suis bien décidé à ce que mon maître gagne.

N’ayant que faire de ses serments, je la regardai s’éloigner en finissant mon café. Mes personnages me rejoignirent un peu plus tard, les deux héroïnes, encore ensommeillés, prirent leur petit déjeuner dans le silence le plus complet. Aucune nouvelle n’indiquait que le tueur ait fait de nouvelles victimes, signe sans doute que le couvre-feu instauré portait ses fruits, on percevait cependant une certaine tension dans les couloirs, les gens se regardaient avec des regards méfiants, voyant en chacun le tueur recherché.
Malgré tout, reposés et détendus, nous quittâmes le salon des modifications pour parcourir les salles à la recherche d’un nouvel adversaire. Au fil de nos pérégrinations, une arène attira mon attention, ou plutôt ce fut tous les auteurs agglutinés autour qui me surprirent.
Une vive rumeur parcourait les rangs des nombreux spectateurs ; dans la cage, une femme s’évertuait à attraper un livre posé au sol. A son expression frustrée, on devinait que le personnage ne réussissait pas à faire ce qu’elle voulait, et pour cause, il lui était impossible de seulement toucher l’œuvre, à chaque fois ses mains stoppaient avant d’avoir pu frôler la couverture. D’après les bribes de phrases que je parvins à entendre, le personnage tentait déjà de bouger l’ouvrage depuis plusieurs minutes.
Les deux écrivains propriétaires des personnages observaient « l’affrontement » près de l’entrée de l’enceinte, il n’était pas dur de deviner à qui appartenait le « vainqueur » du duel. En effet le jeune auteur regardait, le sourire aux lèvres, l’héroïne qui essayait vainement de franchir la barrière invisible qui l’empêchait de se saisir du livre, se délectant de chacun de ses échecs. Le manège dura plusieurs minutes, puis la femme se retourna vers son auteur et lui fit comprendre qu’elle ne pouvait rien faire. Alors que le public s’attendait à un abandon, l’écrivain sortit une feuille et y rédigea quelques lignes, une tornade de feu embrasa l’endroit où se trouvait l’écrit, les flammes tournoyaient, sortant de terre pour monter à plusieurs mètres.
Avec une telle violence, rien ne pouvait résister à cet incendie concentré, pourtant, quand le brasier s’éteignit, le livre se trouvait toujours au même endroit, sa couverture ne portait aucune trace de brûlure.
Après le feu, l’homme essaya l’eau, un dôme aqueux se forma autour du héros livre, quand le liquide s’évapora, rien n’indiquait que l’œuvre n’ait subit des dégâts. La terre succéda à l’eau, puis ce fut au tour de l’air, mais rien n’y faisait, ni les rochers ni les bourrasques n’abimèrent les pages. A court d’idée, l’écrivain, dépité, finit par déclarer forfait.

-L’auteur Jeanne Thomson passe à la 1457ème place, bravo. L’auteur Javier Otegui rétrograde à la 1864ème place, dommage.

Le public applaudissait timidement, voyant en ce personnage objet un problème de taille. La gagnante, radieuse, ne fit pas attention aux regards méfiants que lui jetaient certaines personnes :

-Quelqu’un veut-il relever le défi, clama-t-elle, trois combats et trois abandons d’affilée, qui veut être le quatrième ?

Les gens détournaient les yeux, s’éloignaient discrètement ou remuaient la tête en signe de refus.

-Tente le coup, me glissa Anna.

Inutile de me le dire, déjà je m’avançai vers la jeune femme en tant que challenger ; en me voyant, son sourire s’élargit encore plus. Arrivé à sa hauteur, je la saluai et désignai mon assassine comme combattante, immédiatement elle entra dans l’arène, dagues en main, et se jeta sur son « adversaire ». Ses lames furent déviées avant d’avoir pu entailler le cuir de la couverture.

-Abandonne tout de suite, jubila l’auteur à côté de moi, mon héros est un livre, et les héros ne peuvent toucher au livre, c’est dans le règlement, ce qui rend mon personnage intouchable en combat.

Tandis que mon héroïne poursuivait ses attaques, plus inefficaces les unes que les autres, la phrase que je venais d’entendre tournait dans ma tête, un détail échappait à ma collègue, son personnage n’était pas aussi invulnérable qu’elle ne pouvait le croire.

-J’abandonne.

Une lumière rouge s’alluma au dessus de l’entrée

-L’auteur Jeanne Thomson passe à la 1046ème place, bravo. L’auteur Emmanuel rétrograde à la
1074ème place, dommage

Se laissant emporter par son euphorie, le vainqueur se tournait déjà vers les spectateurs pour les inviter à l’affronter.

-Mais je demande une revanche.

Etonnée, elle se retourna vers moi et me regarda, hésitante, sentant que quelque chose n’allait pas.

-Allons, tu l’as dit toi-même, aucun héros ne peut toucher ton livre, tu ne prends donc pas de risque à accepter ma revanche.

Elle opina, je poursuivais :

-Dans ce cas, à mon tour d’entrer dans l’arène.

Perplexe, la femme s’apprêtait à ouvrir la bouche quand je matérialisai mes armes.

-Je suis aussi un héros, lui expliquai-je, j’ai tout à fait le droit de combattre.

Ne trouvant rien à redire, l’écrivain se contenta de me regarder pénétrer dans la cage de fer. Devant moi, le livre soit disant intouchable reposait à même le sol, je m’approchai et tendis mes mains vers lui. A quelques centimètres, mes doigts s’immobilisèrent, comme si un mur invisible entourait l’ouvrage, je réessayai une deuxième fois, avec mes dagues, les lames ricochèrent sur la mystérieuse barrière sans la traverser. Effectivement le livre semblait inaccessible aux héros, cependant, les auteurs n’étaient sûrement pas concernés par l’interdiction de contact. Mes armes disparurent, les plaques d’armures qui couvraient mon corps aussi ; m’accroupissant, j’attrapai délicatement le cahier et feuilletai ses pages, on pouvait y lire la description d’un livre, sans aucune personnification, ni figure de style, simplement un portrait, une liste de caractéristiques. Me relevant doucement, je marchai vers les limites du ring et passai le personnage objet entre les barreaux, un haut parleur hurla :

-Infraction ! Infraction ! Infraction ! Héros sorti de l’arène, défaite dans 3. 2. 1.

De nouveau le gyrophare rouge s’alluma.

-L’auteur Emmanuel passe à la 965ème place, bravo. L’auteur Jeanne Thomson rétrograde à la 1106ème place, à cela s’ajoute la sanction due à l’infraction du règlement. L’auteur Jeanne Thomson rétrograde donc de 100 places supplémentaires et se retrouve à la 1206ème place, dommage.

Jeanne n’en revenait pas, bouche bée, elle restait sans rien dire. En passant devant elle je posai ma main sur son épaule :

-Désolé, tu es sûrement tombée sur la seule personne qui pouvait battre ton personnage.

Et, sans rien ajouter, je m’éloignai, suivi de mes personnages, fier, droit, en quête d’un nouvel affrontement. Une fois sorti de la salle, quand Jeanne ne put plus me voir, je laissai échapper un long soupir et fis exploser mon soulagement, en entrant dans l’arène, je n’étais pas persuadé que mon plan marcherait et, le cas échéant, j’aurais perdu encore des places. Adossé contre un mur, je tentais de calmer les battements de mon cœur quand le Faucon se redressa brusquement, scrutant le flot des écrivains.

-L’homme au capuchon chez la trafiquante, glissa-t-il avant de se jeter dans la foule, emporté par le courant de personnes.

Bientôt Gabriel disparut de notre champ de vision, englouti par les auteurs et les héros qui se croisaient sans cesse, aucun de nous n’eut le temps de réagir. L’inquiétude se peignit sur le visage d’Anna.

-Et comment va-t-on le retrouver maintenant ?

-Ne t’en fais pas, la rassurai-je, nous n’allons pas rester à rien faire, on peut toujours demander à des gens s’ils l’ont vu passer et nous séparer pour la chercher.

Mettant en application mes consignes, je m’approchai d’une femme et l’interpellai :

- Excusez-moi, vous n’auriez pas vu par hasard un homme grand, plutôt costaud portant un sniper dans son dos et des pistolets à sa taille ?

Etonné, l’auteur ouvrit de grands yeux ronds et me répondit :

-What ?

Je commençai à répéter ma phrase quand tout à coup sa réponse me parut étrange, elle parlait Anglais, alors que toutes les personnes de ce monde parlaient un parfait Français.

-Why are you speaking French ? S’enquit-elle.

Avec l’aide de mon Anglais très lacunaire, je formulai une réponse à peu près cohérente que l’écrivain sembla comprendre malgré mon accent catastrophique. De retour près de mes personnages qui, de leur côté, avaient rencontré les mêmes problèmes de langage que moi, nous mîmes en commun les informations collectées, à savoir rien.

-Presque tout le monde parle dans une autre langue, désespéra Marie, et les quelques personnes comprenant le Français, et elles ne sont pas nombreuses, n’ont pas vu passer Gabriel.

Nous n’avions plus comme choix que de nous séparer pour partir à la recherche du disparu. Après s’être donné rendez-vous à notre chambre, chacun d’entre nous partit dans une direction différente.
Errant seul de salle en salle, je me sentais soudain moins en sécurité, bien que la moindre parcelle de sol soit foulée par des centaines d’auteurs, je me sentais vulnérable, la simple pensée du tueur en série me faisait frissonner. Mes pérégrinations ne m’apportèrent aucune nouvelle information, le héros restait introuvable et le récent problème de communication m’empêchait de me renseigner auprès des autres personnes.
Un message se répandit dans les couloirs et les salles via des haut-parleurs, d’abord en anglais, puis français :

-Un bug généralisé du système est à l’origine des traductions instantanées défectueuses, nous vous prions d’accepter nos excuses et nous nous engageons à réparer ce dysfonctionnement le plus rapidement possible.

Le message se répéta en Chinois, en Japonais, en Espagnol ainsi que dans toutes les langues parlées dans le monde.




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