Retrouver le chemin ne
fut pas une partie de plaisir. Même si, avec l’habitude, je
commençais à acquérir quelques repères, les couloirs et les
salles qui s’enchaînaient se ressemblaient toutes. Arrivé dans la
cabane, je retrouvai la lampe gardienne qui me fit rentrer dans la
chambre coffre fort, mes héros quant à eux devaient attendre
dehors. L’auteur se trouvait à la même place que lors de ma
première visite, si se n’est que cette fois elle tenait un livre
de personnage entre les mains.
-Je te dois une fière
chandelle, me lança-t-elle en m’entendant entrer, j’ose espérer
que tu as gagné ?
En toute réponse je lui
remis l’ouvrage contenant la description du prince des voleurs ;
-Me voila maintenant
propriétaire du fameux Arsène Lupin !
Elle me gratifia d’un
grand sourire avant de continuer, plus sérieusement :
- Maintenant que je suis
payée, tu peux me poser toutes les questions que tu veux, cela va de
soi.
-Je suis assez étonné
de voir que Maurice Leblanc ait accepté de parier un héros comme
Lupin.
-Ho ! ça ? Leblanc
désirait des livres de ma collection assez précieux, cela n’a pas
été facile mais j’ai réussi à le faire parier. Avant que tu ne
demandes, le héros qu’il voulait était Alice au pays des
merveilles.
- Vous avez dans votre
collection un personnage aussi mythique ?
Le compliment fit sourire
mon interlocutrice qui se redressa fièrement :
-Et oui, mais ce n’est
que une de mes raretés. Mais passons, tu n’as pas fait tout cela
simplement pour parler de mes trésors n’est-ce pas ?
-Sais-tu qui est le tueur
en série ?
-Je n’ai aucune
certitude là-dessus, ce que je sais s’est qu’il s’agit de
l’homme qui était venu récupérer son livre lors de notre
première rencontre. Ton héros l’a vu, il pourra te le décrire
mieux que moi qui, dans l’obscurité de mon bureau, ne distinguai
pas son visage.
-Et tu n’as aucune
autre information qui pourrait m’aider ?
-Si ce que je t’ai dit
est vrai, alors j’ai les initiales du tueur : J.L. Malheureusement
je n’ai pas pu transmettre ces informations à qui que ce soit mis
à part toi, tous les éclaireurs que j’envoie se font tuer. Tiens,
le clone de moi qui vous a conduit jusqu’au combat, eh bien, il est
mort.
La nouvelle me fit
l’effet d’une douche froide, l’héroïne savait-elle qu’elle
était visé et a-t-elle choisi que l’on se sépare pour attirer le
tueur ? Était-ce une coïncidence et alors si nous avions continué
notre chemin ensemble le meurtrier nous aurait attaqués tous la
fois ? En revanche ma récompense me paraissait bien faible en
comparaison de ce qu’il m’avait fallu faire, de simples initiales
et un vague espoir de portrait de ma part de Gabriel.
Malgré tout, je repartis
dans ma chambre, ma question n’ayant trouvé que des demi-réponses.
En chemin, je demandai au Faucon de nous décrire l’homme qu’il
avait empêché de rentrer dans la cabane de la dealeuse.
-Je ne l’ai pas
vraiment vu, il portait un capuchon et un long manteau qui ne
laissait rien voir de sa physionomie. Tout ce que j’ai remarqué,
c’est de longs cheveux noirs un peu bouclés, et un grand nez
crochu.
En effet, la description
ne m’avançait pas beaucoup.
Après s’être restauré
au salon des modifications, il fut décidé que l’après -midi
serait consacré à nous reposer. Ne désirant pas rester enfermé
dans la chambre, je proposai de chercher la sorte de parc visible
depuis notre fenêtre ; l’idée fut acceptée avec joie et,
une demi-heure plus tard, nous nous prélassions, couchés dans
l’herbe, et profitions de chaque rayon du soleil.
Malgré toutes mes
tentatives de rapprochement, Marie refusait toujours de me parler,
son entêtement finit d’ailleurs par m’exaspérer, quoi que je
fasse, quoi que je dise, rien n’y faisait et son visage restait
fermé.
De nombreux auteurs
profitaient du magnifique temps pour se reposer, comme nous,
s’offrant une pause dans ce monde fantastique, un temps mort entre
les combats. Dans ce grand carré de verdure, personne ne se souciait
du classement, de la guerre ou même du tueur en série, tous les
problèmes étaient mis de coté l’espace de quelques heures.
Lorsque le soleil disparut derrière les bâtiments, nous rentrâmes
manger, après quoi, dans un silence de mort, nous rejoignîmes notre
chambre où chacun partit se coucher.
Les rayons qui filtraient au travers des volets me réveillèrent très tôt, la chambre était encore plongée dans la pénombre. Dans le lit, Marie, enroulée dans la grosse couverture, dormait paisiblement ; à côté d’elle, Anna, n’ayant rien pour se réchauffer, s’était recroquevillée en position fœtale. Le faucon se tenait debout, adossé contre un mur.
-Tu ne dors pas ?
Lui glissai-je le plus doucement possible
-Je n’ai plus sommeil,
c’est toi qui m’as créé, tu dois savoir que je n’ai pas
besoin de beaucoup de repos.
Effectivement, je me
souvenais de cette caractéristique. Me levant à mon tour, je partis
comme, chaque matin, prendre mon petit déjeuner. Alors que je
mangeais tranquillement mes tartines, une silhouette que je reconnus
instantanément s’assit à côté de moi. Me toisant durement, elle
finit par m’interroger d’un ton glacial.
-Marie m’a tout dit, tu
t’es transformé en héros ?
-Oui.
Ma réponse sembla lui
déplaire, elle haussa le ton.
-Tu es conscient de ce
que cela implique. Pour toi, la bataille sera décisive, tu devras
obligatoirement gagner si tu veux en sortir vivant.
Que croyait-elle, bien
sûr que je le savais, mais je ne pouvais de toute façon pas faire
demi-tour, c’était trop tard. Voyant que j’étais déterminé,
elle posa la main sur mon épaule et me dit, d’un ton solennel :
-Dans ce cas, quand nous
nous verrons sur le champ de bataille, je devrai te tuer, même si
cela ne me fait pas plaisir, je suis bien décidé à ce que mon
maître gagne.
N’ayant que faire de
ses serments, je la regardai s’éloigner en finissant mon café.
Mes personnages me rejoignirent un peu plus tard, les deux héroïnes,
encore ensommeillés, prirent leur petit déjeuner dans le silence le
plus complet. Aucune nouvelle n’indiquait que le tueur ait fait de
nouvelles victimes, signe sans doute que le couvre-feu instauré
portait ses fruits, on percevait cependant une certaine tension dans
les couloirs, les gens se regardaient avec des regards méfiants,
voyant en chacun le tueur recherché.
Malgré tout, reposés et
détendus, nous quittâmes le salon des modifications pour parcourir
les salles à la recherche d’un nouvel adversaire. Au fil de nos
pérégrinations, une arène attira mon attention, ou plutôt ce fut
tous les auteurs agglutinés autour qui me surprirent.
Une vive rumeur
parcourait les rangs des nombreux spectateurs ; dans la cage,
une femme s’évertuait à attraper un livre posé au sol. A son
expression frustrée, on devinait que le personnage ne réussissait
pas à faire ce qu’elle voulait, et pour cause, il lui était
impossible de seulement toucher l’œuvre, à chaque fois ses mains
stoppaient avant d’avoir pu frôler la couverture. D’après les
bribes de phrases que je parvins à entendre, le personnage tentait
déjà de bouger l’ouvrage depuis plusieurs minutes.
Les deux écrivains
propriétaires des personnages observaient « l’affrontement »
près de l’entrée de l’enceinte, il n’était pas dur de
deviner à qui appartenait le « vainqueur » du duel. En
effet le jeune auteur regardait, le sourire aux lèvres, l’héroïne
qui essayait vainement de franchir la barrière invisible qui
l’empêchait de se saisir du livre, se délectant de chacun de ses
échecs. Le manège dura plusieurs minutes, puis la femme se retourna
vers son auteur et lui fit comprendre qu’elle ne pouvait rien
faire. Alors que le public s’attendait à un abandon, l’écrivain
sortit une feuille et y rédigea quelques lignes, une tornade de feu
embrasa l’endroit où se trouvait l’écrit, les flammes
tournoyaient, sortant de terre pour monter à plusieurs mètres.
Avec une telle violence,
rien ne pouvait résister à cet incendie concentré, pourtant, quand
le brasier s’éteignit, le livre se trouvait toujours au même
endroit, sa couverture ne portait aucune trace de brûlure.
Après le feu, l’homme
essaya l’eau, un dôme aqueux se forma autour du héros livre,
quand le liquide s’évapora, rien n’indiquait que l’œuvre
n’ait subit des dégâts. La terre succéda à l’eau, puis ce fut
au tour de l’air, mais rien n’y faisait, ni les rochers ni les
bourrasques n’abimèrent les pages. A court d’idée, l’écrivain,
dépité, finit par déclarer forfait.
-L’auteur Jeanne
Thomson passe à la 1457ème place, bravo. L’auteur
Javier Otegui rétrograde à la 1864ème place, dommage.
Le public applaudissait
timidement, voyant en ce personnage objet un problème de taille. La
gagnante, radieuse, ne fit pas attention aux regards méfiants que
lui jetaient certaines personnes :
-Quelqu’un veut-il
relever le défi, clama-t-elle, trois combats et trois abandons
d’affilée, qui veut être le quatrième ?
Les gens détournaient
les yeux, s’éloignaient discrètement ou remuaient la tête en
signe de refus.
-Tente le coup, me glissa
Anna.
Inutile de me le dire,
déjà je m’avançai vers la jeune femme en tant que challenger ;
en me voyant, son sourire s’élargit encore plus. Arrivé à sa
hauteur, je la saluai et désignai mon assassine comme combattante,
immédiatement elle entra dans l’arène, dagues en main, et se jeta
sur son « adversaire ». Ses lames furent déviées avant
d’avoir pu entailler le cuir de la couverture.
-Abandonne tout de suite,
jubila l’auteur à côté de moi, mon héros est un livre, et les
héros ne peuvent toucher au livre, c’est dans le règlement, ce
qui rend mon personnage intouchable en combat.
Tandis que mon héroïne
poursuivait ses attaques, plus inefficaces les unes que les autres,
la phrase que je venais d’entendre tournait dans ma tête, un
détail échappait à ma collègue, son personnage n’était pas
aussi invulnérable qu’elle ne pouvait le croire.
-J’abandonne.
Une lumière rouge
s’alluma au dessus de l’entrée
-L’auteur Jeanne
Thomson passe à la 1046ème place, bravo. L’auteur
Emmanuel rétrograde à la
1074ème
place, dommage
Se laissant emporter par
son euphorie, le vainqueur se tournait déjà vers les spectateurs
pour les inviter à l’affronter.
-Mais je demande une
revanche.
Etonnée, elle se
retourna vers moi et me regarda, hésitante, sentant que quelque
chose n’allait pas.
-Allons, tu l’as dit
toi-même, aucun héros ne peut toucher ton livre, tu ne prends donc
pas de risque à accepter ma revanche.
Elle opina, je
poursuivais :
-Dans ce cas, à mon tour
d’entrer dans l’arène.
Perplexe, la femme
s’apprêtait à ouvrir la bouche quand je matérialisai mes armes.
-Je suis aussi un héros,
lui expliquai-je, j’ai tout à fait le droit de combattre.
Ne trouvant rien à
redire, l’écrivain se contenta de me regarder pénétrer dans la
cage de fer. Devant moi, le livre soit disant intouchable reposait à
même le sol, je m’approchai et tendis mes mains vers lui. A
quelques centimètres, mes doigts s’immobilisèrent, comme si un
mur invisible entourait l’ouvrage, je réessayai une deuxième
fois, avec mes dagues, les lames ricochèrent sur la mystérieuse
barrière sans la traverser. Effectivement le livre semblait
inaccessible aux héros, cependant, les auteurs n’étaient sûrement
pas concernés par l’interdiction de contact. Mes armes
disparurent, les plaques d’armures qui couvraient mon corps aussi ;
m’accroupissant, j’attrapai délicatement le cahier et feuilletai
ses pages, on pouvait y lire la description d’un livre, sans aucune
personnification, ni figure de style, simplement un portrait, une
liste de caractéristiques. Me relevant doucement, je marchai vers
les limites du ring et passai le personnage objet entre les barreaux,
un haut parleur hurla :
-Infraction !
Infraction ! Infraction ! Héros sorti de l’arène,
défaite dans 3. 2. 1.
De nouveau le gyrophare
rouge s’alluma.
-L’auteur Emmanuel
passe à la 965ème place, bravo. L’auteur Jeanne
Thomson rétrograde à la 1106ème place, à cela s’ajoute
la sanction due à l’infraction du règlement. L’auteur Jeanne
Thomson rétrograde donc de 100 places supplémentaires et se
retrouve à la 1206ème place, dommage.
Jeanne n’en revenait
pas, bouche bée, elle restait sans rien dire. En passant devant elle
je posai ma main sur son épaule :
-Désolé, tu es sûrement
tombée sur la seule personne qui pouvait battre ton personnage.
Et, sans rien ajouter, je
m’éloignai, suivi de mes personnages, fier, droit, en quête d’un
nouvel affrontement. Une fois sorti de la salle, quand Jeanne ne put
plus me voir, je laissai échapper un long soupir et fis exploser mon
soulagement, en entrant dans l’arène, je n’étais pas persuadé
que mon plan marcherait et, le cas échéant, j’aurais perdu encore
des places. Adossé contre un mur, je tentais de calmer les
battements de mon cœur quand le Faucon se redressa brusquement,
scrutant le flot des écrivains.
-L’homme au capuchon
chez la trafiquante, glissa-t-il avant de se jeter dans la foule,
emporté par le courant de personnes.
Bientôt Gabriel disparut
de notre champ de vision, englouti par les auteurs et les héros qui
se croisaient sans cesse, aucun de nous n’eut le temps de réagir.
L’inquiétude se peignit sur le visage d’Anna.
-Et comment va-t-on le
retrouver maintenant ?
-Ne t’en fais pas, la
rassurai-je, nous n’allons pas rester à rien faire, on peut
toujours demander à des gens s’ils l’ont vu passer et nous
séparer pour la chercher.
Mettant en application
mes consignes, je m’approchai d’une femme et l’interpellai :
- Excusez-moi, vous
n’auriez pas vu par hasard un homme grand, plutôt costaud portant
un sniper dans son dos et des pistolets à sa taille ?
Etonné, l’auteur
ouvrit de grands yeux ronds et me répondit :
-What ?
Je commençai à répéter
ma phrase quand tout à coup sa réponse me parut étrange, elle
parlait Anglais, alors que toutes les personnes de ce monde parlaient
un parfait Français.
-Why
are you speaking French ? S’enquit-elle.
Avec l’aide de mon
Anglais très lacunaire, je formulai une réponse à peu près
cohérente que l’écrivain sembla comprendre malgré mon accent
catastrophique. De retour près de mes personnages qui, de leur côté,
avaient rencontré les mêmes problèmes de langage que moi, nous
mîmes en commun les informations collectées, à savoir rien.
-Presque tout le monde
parle dans une autre langue, désespéra Marie, et les quelques
personnes comprenant le Français, et elles ne sont pas nombreuses,
n’ont pas vu passer Gabriel.
Nous n’avions plus
comme choix que de nous séparer pour partir à la recherche du
disparu. Après s’être donné rendez-vous à notre chambre, chacun
d’entre nous partit dans une direction différente.
Errant seul de salle en
salle, je me sentais soudain moins en sécurité, bien que la moindre
parcelle de sol soit foulée par des centaines d’auteurs, je me
sentais vulnérable, la simple pensée du tueur en série me faisait
frissonner. Mes pérégrinations ne m’apportèrent aucune nouvelle
information, le héros restait introuvable et le récent problème
de communication m’empêchait de me renseigner auprès des autres
personnes.
Un message se répandit
dans les couloirs et les salles via des haut-parleurs, d’abord en
anglais, puis français :
-Un bug généralisé du
système est à l’origine des traductions instantanées
défectueuses, nous vous prions d’accepter nos excuses et nous nous
engageons à réparer ce dysfonctionnement le plus rapidement
possible.
Le message se répéta en
Chinois, en Japonais, en Espagnol ainsi que dans toutes les langues
parlées dans le monde.
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