lundi 8 septembre 2014

affrontement

Lorsque l’auteur de ce texte me revint à l’esprit, mon mauvais pressentiment se changea en une vive inquiétude, il s’agissait d’une fable de Jean de La Fontaine. Un long grincement emplit la pièce, deux portes venaient de s’ouvrir, de la première sortirent un Loup, un Cerf et un Corbeau. A l’autre apparurent la tête d’un renard, la soutane délabrée de la mort ainsi qu’un lion à la majestueuse crinière. Tous les animaux, menés par le spectre, s’avancèrent vers nous.

-Eh bien ! tel est pris qui croyait prendre !

Dans notre dos, un petit rat nous regardait de ses yeux noirs. Quand il vit s’approcher Marie, il décampa à toutes pattes vers ses alliés.

-Il me semble me rappeler un singe élu roi à qui j’avais joué le même tour !

- J’en aurai, dit le Loup, pour un mois, pour autant
Un, deux, trois, quatre corps, ce sont quatre semaines
Si je sais compter, toutes pleines.

Dans l’ouverture, une gigantesque silhouette se dessina dans l’ombre, une grosse patte marron pourvue de longues griffes s’exposa à la lumière, puis une deuxième. La forme s’extirpa de l’encadrement de la porte, il s’agissait d’un ours ; l’immense animal se dressa sur sesmembres postérieurs et gronda sa phrase si connue :

- Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours
Qu’on ne l’ait mis par terre !

A l’armée animale s’ajouta encore un homme trapu au visage carré et à la mâchoire proéminente, armé d’une hache. Huit paires d’yeux nous fixaient, je sentais mes mains trembler ; en face, le canidé passa sa langue le long de ses babines, voyant déjà en moi son prochain repas. Mon regard se perdait dans les pupilles noires du Loup qui continuait de s’approcher, un coup de feu me ramena à la réalité, Gabriel venait de tirer sur le Corbeau. Le volatile croassa désespérément en essayant de se maintenir en l’air ; peine perdue, il s’écrasa quelques secondes plus tard.

-Maintenant ils ne sont plus que sept, nota Le Faucon.

La mort de l’oiseau servit de signal à ses compagnons qui, dans le même temps, se jetèrent sur nous.
La tête baissée et les bois en avant, le Cerf galopait vers mon assassine qui se trouvait déjà aux prises avec l’Ours. La Mort s’avança vers le sniper, décidée à prendre sa revanche. Marie faisait face au Renard et au Lion, pour ma part, j’héritai du Loup et du Bûcheron. L’animal au pelage sombre tournait autour de moi, les babines retroussées, dévoilant une rangée de crocs blancs ; l’homme, quant à lui, restait stoïque et contemplait le spectacle. S’arrêtant dans sa ronde, le carnivore se tassa avant de bondir, gueule grande ouverte, vers ma gorge ; je levai mon bras ; devant moi, les mâchoires se refermèrent sur mon poignet entouré de chaînes. Le Loup s’acharna un moment sur les maillons d’acier avant d’abandonner, préférant reculer, mes dagues venaient de me sauver la vie et je me félicitai intérieurement de m’être transformé en héros, sans quoi je serais déjà sur le béton, égorgé.
La bête recommença à tourner, sans jamais me perdre de vue ; me concentrant sur elle, j’en oubliai mon autre adversaire qui en profita pour s’approcher dans mon dos.

-Emmanuel !

La voix de Marie perça au milieu de tous les bruits de lutte pour arriver jusqu’à moi. Me retournant vers elle, mon regard s’arrêta sur la masse de muscles brandissant sa hache au dessus de lui.
Le Bûcheron resserrait sa prise sur le manche de sa cognée et la levait au-dessus de sa tête quand soudain son geste se stoppa. Dans un hurlement de douleur, le personnage lâcha son arme et, toujours en hurlant, retira le cimeterre planté dans son dos. Grace à son intervention, mon héroïne me permit de rester entier, en contrepartie, elle devait désormais affronter ses ennemis avec une seule arme. Rouge de rage et ivre de douleur, le colosse me saisit par le cou et me souleva, faute de hache, il tenait fermement l’épée ruisselante de sang de la guerrière. Dans mon dos j’entendais les hurlements du Loup qui s’intensifiaient, il fallait que je me dégage à tout prix. Le manque d’air se faisait sentir, l’étau sur mon cou se resserra et je sentais ma conscience vaciller, comme lors de mon expérience contre la faucheuse, mon champ de vision s’obscurcit. Le visage de mon bourreau se déformait sous l’effet de sa blessure au dos et de sa colère, ses traits s’étiraient en un rictus effroyable qui rendait son visage semblable à celui des gargouilles qui ornent les cathédrales. Plus terrifiant encore, la certitude que derrière moi se trouvait une bête prête à me bondir dessus, ses grognements me parvenaient clairement, et bien que je ne la voie pas, il ne m’était pas difficile de l’imaginer, s’apprêtant à me déchiqueter.
Alors que l’oxygène se faisait de plus en plus rare, l’animal attaqua ; profitant de mes dernières secondes de lucidité je réussis à lacérer le large bras du Bûcheron avec mes lames, le faisant lâcher prise. L’homme vit le Loup se jeter sur lui, la collision fut très dure, les deux corps musculeux se percutèrent violemment et roulèrent au sol, durant les quelques secondes que dura l’action, je restais étendu, les bras écartés, les poumons en feu, aspirant avec avidité tout l’air que je pouvais.
Malheureusement les deux héros se relevèrent rapidement m’obligeant à me redresser également, le personnage humain de La Fontaine arborait une nouvelle blessure, cette fois due aux crocs de son compagnon.
Serrant fermement mes dagues, je courus vers le héros blessé, voyant en lui la proie la plus facile. Lorsqu’il comprit que je le visais, Le Bûcheron poussa un rugissement terrifiant et se mit à charger à son tour vers moi ; malgré ses plaies, il se déplaçait à bonne vitesse, l’épaule en avant.
Il était évident que je ne pouvais aucunement rivaliser avec lui en face à face, cela n’avait jamais été mon idée. Au dernier instant, alors que nous nous trouvions à un mètre l’un de l’autre, je jetai une de mes armes à gauche et plongeai en même temps à droite. Le bélier ne s’arrêta pas, passant à toute vitesse à côté de moi, ma chaîne s’enroula autour de son pied. Avant d’avoir pu réagir, l’homme trébucha et tomba.
L’occasion ne se représenterait sûrement pas une deuxième fois. De nouveau sur mes jambes, je sautai sur la masse de chair et plantai la dague qu’il me restait dans la blessure encore sanguinolente qu’avait ouverte mon héroïne. Le personnage lança un cri déchirant et se débattit comme un diable.
Touché par une de ses gesticulations, je fus éjecté de son dos et contraint de m’éloigner de quelques pas pour reprendre mes esprits. Son coup aveugle m’avait atteint en pleine mâchoire, ma tête bourdonnait encore et ma vue se troublait. Le héros devenait fou furieux, la douleur le rendait incontrôlable et il balançait ses poings dans tous les sens sans savoir si ceux qu’il touchait étaient des ennemis ou des alliés. Ainsi le Loup, paniqué par cet accès de fureur, eut droit à un magnifique crochet qui l’envoya au tapis un peu plus loin.
Pour mettre fin aux souffrances du malheureux, je plantai mes dagues dans son corps, espérant que cela suffise à l’achever, mais mon ennemi était robuste et continuait à lutter.
Après un nouveau hurlement, le Bûcheron saisit mes chaînes à pleines mains et tira d’un coup sec ; je décollai littéralement et fonçai vers lui à toute vitesse.
Il possédait une force prodigieuse. Il prépara déjà son poing ; s’il me touchait, je ne m’en relèverais certainement pas.
Alors que tout semblait perdu et que je me voyais déjà assommé par son crochet, le personnage fut attaqué par son camarade canidé qui le mordit à la cheville, sûrement en guise de vengeance pour le coup qu’il avait reçu auparavant. Déconcentré par cet événement, l’homme m’oublia l’espace d’un instant, pour balayer le crâne du Loup d’un revers de la main. Lorsqu’il revint sur moi, il était trop tard. Je le percutai de plein fouet, la tête la première, le choc termina ce que les blessures avaient commencé et le Lafontainien s’effondra enfin, mort ou alors sans connaissance.
Il ne me restait plus qu’un dernier adversaire, lequel avait reçu plus de coups de la part de son soi-disant partenaire que de moi-même.
Sa gueule dégoulinait de sang et ses yeux exorbités lançaient des éclairs de rage, son pelage noir s’était teinté de reflets écarlates et tout son corps se préparait une nouvelle fois à me bondir dessus. Cette fois, il n’était pas question de se laisser surprendre ; quand il passa à l’attaque, je plantai mes dagues dans sa gorge et le clouai au sol.
L’action n’avait duré qu’une poignée de secondes. Le Loup lutta désespérément, mais les lames qui perforaient son cou furent fatales. Désormais je pouvais regarder comment se débrouillaient mes héros : Anna aidait Gabriel dans son combat contre la Mort, un peu plus loin gisaient les cadavres du Cerf et de l’Ours, tous deux éventrés. Marie quant à elle semblait éprouver plus de difficulté face à ses deux opposants, qui plus est, elle se battait avec une seule épée.
Sans avoir besoin de réfléchir, je courus au secours de ma guerrière, espérant que mes deux autres personnages réussissent à faire face au spectre. En arrivant à son niveau, je trouvai mon héroïne encore plus mal que je ne l’avais cru, son bras portait quatre longues estafilades, assez profondes pour l’empêcher de l’utiliser. Son visage, couvert de sueur, portait les marques de la fatigue, et sa respiration haletante me confirmait son état.
Mon héroïne accueillit donc mon arrivée avec une joie apparente. En face, Les deux animaux ne paraissaient pas être blessés, et mis à part le Renard, qui boitait un peu, on eût juré qu’ils n’avaient reçu aucun dégât.

-Je voulais te défendre pour que tu n’aies pas à te battre et au final c’est toi qui viens m’aider, ironisa Marie.

Je ne répondis pas et lançai directement l’assaut à mes deux nouveaux adversaires, pensant ainsi les surprendre, ce ne fut malheureusement pas le cas.
Après seulement deux pas, Renard se jeta dans mes jambes et je fus forcé de sauter pour éviter d’être mordu. Le Lion choisit évidemment ce moment pour lui-même passer à l’attaque ; en un bond, il couvrit la distance qui nous séparait et d’un violent coup de patte il taillada une partie de mon abdomen.
Je pouvais m’estimer chanceux de ne pas avoir été coupé purement et simplement en deux. En retombant au sol, je respirais toujours et quoiqu‘une douleur grandissante envahît tout mon corps, j’étais en vie. Ma guerrière avait suivi mon attaque sans pouvoir intervenir, et lorsqu’elle me vit chuter, blessé et en sang, un éclair passa dans son regard et son visage changea complètement.
La fatigue fut chassée par un autre sentiment, la colère, ses yeux se chargèrent de haine, tout son corps subit le changement de cette agressivité croissante, et lorsque son tout être fut saturé, cette violence, cette animosité qui grandissait en elle déborda jusqu’à former une véritable aura malveillante. Marie ressemblait de plus en plus aux animaux qu’elle combattait, seule sa forme humaine la différenciait d’eux, et la haine qui émanait d’elle me remémorait l’épisode de la rébellion des héros.
Les deux Lafontainiens, quelque peu effrayés par ce changement de comportement, délaissèrent mon corps mutilé pour se focaliser sur le nouveau danger qui leur faisait face. Ma guerrière, si tant est qu’il s’agisse bien toujours d’elle, attaqua la première ; contre cet assaut les deux bêtes effectuèrent la même combinaison que celle qui m’avait amené là où je me trouvais, à savoir étendu sur le sol, grièvement blessé.
Avec une agilité étonnante, mon personnage plongea en avant afin d’esquiver le balayage du Renard, planta son cimeterre dans le sol et s’en servit de point d’appui pour éviter le coup de patte du Lion. Atterrissant avec souplesse, la combattante retira son arme des dalles, pivota sur ses talons et faucha l’animal roux qui, ayant loupé sa première attaque, venait de bondir vers elle toutes griffes dehors. Le félin regarda son camarade se faire tuer sans réagir, apparemment l’amitié n’était pas très présente dans l’armée de Jean de Lafontaine.
Les deux duellistes se faisaient face, immobiles, se défiant du regard, les muscles bandés, prêts à réagir au moindre geste de l’autre. Au final, ce fut l’animal qui enclencha quelque chose. Conscient de l’avantage que lui fournissait son corps puissant, il opta pour un assaut direct, prenant tout de même garde à la lame, encore couverte du sang du goupil, qui attendait le bon moment pour frapper.
Pas à pas, le Lafontainien s’approcha de front vers mon héroïne qui l’attendait, droite, le cimeterre levé au-dessus de sa tête. A quelques mètres de sa proie, Le Lion jaugea une dernière fois son opposante et bondit en rugissant ; l’arme s’abaissa, fendant l’air, pour se planter dans les larges muscles du roi des animaux, mais il en fallait plus pour le tuer. Prenant conscience que son coup avait échoué, Marie tenta de s’enfuir mais il était déjà trop tard, la gueule béante de la bête se referma sur le mollet de mon héroïne.
De mon côté, mes plaies m’interdisaient toujours tout mouvement, m’obligeant à assister, impuissant, au combat désespéré que menait ma combattante, laquelle essayait par tous les moyens de dégager son épée profondément ancrée dans la chair de la bête.
À chaque fois que la lame remuait dans la plaie, le Lion poussait un grognement de douleur et raffermissait sa prise sur la jambe de sa victime.
Les deux héros continuèrent ainsi pendant près d’une minute jusqu’à ce que, ne pouvant plus en supporter davantage, Marie renonce à récupérer son arme. Dans un suprême effort de volonté, je tentai une dernière fois de me relever, mon corps entier n’était que souffrance, on eût dit qu’un
brasier brûlait dans mon torse, des lacérations coulaient toujours plus de sang, mais j’en avais vu tellement depuis mon arrivée dans ce monde que cela ne me choquait même plus.
Alors que je réussissais à me mettre à genoux, un vertige faillit faire échouer tous mes efforts ; devant mes yeux le sol parut basculer, ma notion de distance et de profondeur s’altéra, si bien que je voyais mon héroïne tantôt à des dizaines de mètres, tantôt en gros plan juste en face de moi.
L’étourdissement continua encore quelques minutes, pendant ce temps Marie essayait toujours de s’échapper de la prison de crocs qui la retenait par la jambe. Lorsque, enfin, je me tins debout, un nouvel obstacle se dressa devant moi, il s’agissait de garder l’équilibre et d’avancer, habituellement la chose me paraissait si banale et si facile que je l’effectuais sans même y penser. Mais lorsque l’on a perdu une certaine quantité d’hémoglobine, que tout notre corps semble peser une tonne et que l’on voit la salle où l’on se trouve tanguer fortement comme si l’on se trouvait sur un bateau, alors parvenir à faire un pas tenait de l’exploit.
Et pendant que je m’affairais à ma tâche, la guerrière, obligée de s’en sortir seule, échafaudait un dernier plan de fuite. Tendant ses mains, elle les posa, paumes ouvertes, contre la lame du cimeterre, prit une profonde inspiration et appuya violemment contre l’acier afin de l’enfoncer plus profondément encore dans la plaie.
La conséquence de son acte ne se fit pas attendre, le Lion serra un peu plus sa mâchoire, mais sa proie ne s’arrêta pas et réitéra son geste. Une nouvelle lutte débuta alors, il s’agissait de voir lequel était prêt à endurer le plus de tortures, chacun son tour.
Les deux participants augmentaient le supplice de leur adversaire et se préparaient, en contre partie, à recevoir à leur tour un peu plus de souffrance. Les deux combattants luttaient pour ne pas céder devant l’autre. Si l’on eut un jour à faire la représentation imagée de la douleur, il ne fait aucun doute que ce serait leurs expressions que l’on utiliserait.
Finalement, le Lafontainien relâcha son emprise et recula d’un bond. Ne pouvant plus en supporter davantage, enfin libérée, Marie chancela et s’évanouit. Etant de nouveau debout, l’animal vit en moi son prochain adversaire et s’élança pour m’achever ; la tache ne serait pas compliquée puisque je tenais à peine sur mes jambes.
Dans cet état, l’idée de combattre ne m’effleurait même pas. Je restai donc là, hébété, le regard vitreux et les bras pendants, regardant venir vers moi cette boule de muscles ayant sorti ses griffes pour les planter dans ma chair. J’allais mourir, et l’on saurait enfin ce qu’il se passerait pour mes héros, dans quelques secondes mon torse s’ouvrirait en quatre entailles, déversant le peu de sang qu’il me restait, et extirpant de mon corps les lambeaux de vie qui s’y accrochaient encore.
Face à la fin, alors que l’énorme patte se dressa devant mes yeux, ton mon être restait calme et serein, attendant patiemment que cela se finisse. J’allais mourir, mais, dans le fond, cela ne m’effrayait pas. Une sorte de résignation avait gagné mon esprit quand je m’étais aperçu que personne ne pouvait intervenir pour me sauver.
Comme je l’avais prédit, le coup traça quatre profonds sillons le long de mon torse, l’air me manqua, je ne pouvais plus respirer, comme si l’oxygène me fuyait. Je fus tout de même déçu en remarquant que ma vie ne défilait pas devant mes yeux, encore une fausse croyance, à la place, mon regard se posa sur Marie, laquelle se releva, presque au ralenti, tandis que mon corps s’affaissait et s’aplatissait contre le sol dur et gelé. Je l’entendais clairement crier mon nom, sa voix tremblait sous le coup de l’émotion, et la fin de son cri se transforma en sanglots entrecoupés de temps en autre d’un long hurlement déchirant.
Mais tout cela se passait sans que je n’y fasse vraiment attention, sans que cela me touche, comme si je n’étais que spectateur de ce spectacle. Un froid immense me gagnait petit à petit, tout s’obscurcissait devant mes yeux et, alors que je glissais doucement vers la mort, pour la énième fois depuis les deux derniers jours, une autre voix perça le voile des ténèbres qui m’entourait, la voix puissante de Gabriel :

-Marie, va chercher les cahiers d’Emmanuel ! Dépêche-toi, on peut encore le sauver !

En entendant ces paroles, un déclic s’opéra dan mon esprit, le calme, la sérénité et la résignation s’évaporèrent, faisant place à une véritable rage de vivre, une envie, un besoin de lutter. Il m’aurait été impossible de dire clairement depuis combien de temps je me trouvais entre la vie et la mort car dans ces moments, le temps suit un cours totalement différent de celui que l’on connaît. Faisant des efforts surhumains pour garder le peu de conscience qu’il me restait, je ne perdais pas une parole de ce qu’il se passait autour de moi.
En réponse à l’arrivée du héros, le Lion poussa un long rugissement, et aux bruits rythmés qu’il émit, j’en déduisis qu’il courait vers le nouveau venu.

-Je les ai, cria la guerrière.

-Prends le mien et rajoute à ma description une connaissance parfaite des fables de La Fontaine !

Au vu de la situation, cette demande me parut des plus ridicules, jusqu’à ce que je me souvienne de l’épisode où William bâtit la Mort en citant les derniers vers d’une fable. Un cri de douleur s’éleva du côté de mon personnage, le Lion avait-il tué le sniper, tuant par la même occasion mes derniers espoirs de vie ?

-Je voulais bien mourir
Mais c’est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.

Le Lafontainien couina de douleur et se stoppa dans sa lancée, Gabriel enchaîna sans attendre :

-Amour, amour, quand tu nous tiens
On peut bien dire : Adieu prudence.

Les mots atteignirent le Lion, pareils à des lances, le perforant de toutes parts.

-Pendant que je le retiens, soigne Emmanuel avant qu’il ne soit trop tard !

Cette injonction m’incita à poursuivre ma lutte contre l’obscurité qui envahissait mes pensées, ce combat, qui me sembla s’étaler sur des centaines d’heures, dura en réalité à peine quelques secondes pendant lesquelles la guerrière tira mon livre et commença à réparer toutes les dégradations qu’il contenait.
Dès le début des restaurations, mon esprit s’éclaira, chassant l’ombre, l’étreinte de la mort se relâcha, l’air accepta enfin de revenir vers moi, et j’accueillis la première bouffée avec un plaisir indescriptible.
Je recouvrai également la vue, prenant conscience de ce qu’il se passait, le sol occupait une grande partie de mon champ de vision, j’étais étalé sur le ventre, un goût de sang emplissait ma bouche, il s’agissait sans aucun doute de mon sang.
Mais la guérison ne se fit cependant pas sans douleur, et le moment de la cicatrisation constitua certainement le passage le plus douloureux de tous. Les bords des plaies s’étiraient jusqu’à se toucher, mais l’opération fut bien moins simple qu’il n’y paraît, la peau résistait, refusait de s’étendre. J’avais l’impression que des mains invisibles tenaient fermement chaque côté et les rapprochaient de force, à la manière d’une personne qui force pour fermer les boutons d’un pantalon qui lui serait beaucoup trop serré.
La douleur déferlait en moi, mer ravageuse qui submergea toutes mes pensées, et chaque nouvelle vague m’enfonçait toujours plus profondément dans la souffrance. Je voulais crier, mais aucun son ne sortait, et cette torture ne cessa pas, bien au contraire, au fur et à mesure que la « guérison » avançait, le calvaire grandissait. M’évanouir me semblait être la meilleure solution, mais même cette issue m’était refusée, j’étais condamné à endurer tout cela, et le pire m’attendait.
Lorsque la plaie fut enfin refermée, mes blessures se mirent à s‘embraser, au sens premier du terme, des flammes courraient le long de ma peau, roussissant mon épiderme qui reprenait instantanément sa teinte d’origine après le passage du brasier. L’incendie se poursuivit encore de longues secondes, et quand le feu s’éteignit enfin, mon corps ne gardait plus aucune trace des plaies ou des brûlures, même la douleur avait disparu en un instant.
Haletant, je m’étais retourné sur le dos et fixais le plafond, le regard vide, le Faucon continuait son combat verbal contre l’animal, Anna s’interposait entre son coéquipier et la bête, quant à Marie, elle clopina vers moi, presque aussi amochée que je l’étais auparavant, les vêtements poisseux de sang, des entailles à plusieurs endroits, mais ce furent ses yeux qui retinrent mon attention.
Ses deux grands yeux couleur ambre me regardaient, et je lisais en eux tant de joie, de soulagement et d’amour que je me sentis happé par ce flot d’émotion intense qui m’enveloppa comme une douce caresse. Elle se laissa tomber près de moi et se mit à pleurer, des larmes de bonheur, je voulais la serrer contre moi mais mon corps demeurait encore trop lourd et les chaînes à mes poignets clouaient mes bras au sol.
Un rugissement rauque brisa cette scène, le Lion vivait ses derniers instants, le roi des animaux ne possédait plus rien d’imposant, sa taille avait diminué de moitié, sa langue pendait hors de sa gueule, sa musculature autrefois impressionnante laissait maintenant place à un corps frêle et affaibli.
Gabriel sortit son Beretta et s’approcha, à pas lents, de son ennemi terrassé, comme un bourreau s’approche de l’échafaud où l’attend le condamné.

Toute la fureur du Lafontainien n’y changea rien ; incapable de se relever, il se contenta de rugir et de mordre dans le vide, ses yeux débordaient toujours de haine. Le faucon s’arrêta à deux mètres du monstre vaincu, tendit son bras devant lui, et tira une unique balle qui se logea dans le crâne de la bête, la créature se débattit encore un moment, refusant de perdre face à sa proie, mais finalement ses blessures l’emportèrent et il mourut.  

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