Le combat était enfin
terminé. Il s’agissait du dernier adversaire, nous avions gagné,
nous étions parvenu à résister au tueur en série, mieux, nous
avions vaincu son armée et étions toujours en vie.
Perdu dans mes pensées,
je restai étendu à même le sol, mon héroïne en larmes à mes
côtés.
Un bruit dans le fond de
la pièce me sortit de mes rêveries, il s’agissait de battements
réguliers qui ébranlaient toute la salle. Ce son s’amplifia, la
pulsation se faisait de plus en plus forte et de plus en plus
rapprochée, bientôt, chaque coup résonnait en moi, les vibrations
du sol venaient chatouiller mon corps, mon rythme cardiaque se cala
sur cet étrange pouls et je ne cherchai même pas à savoir d’où
provenaient ces chocs.
Soudain, une secousse
fit voler un mur en éclats, l’explosion souleva un épais nuage de
poussière qui empêchait de visualiser ce qu’il se passait. Après
un court moment d’attente, le brouillard de débris s’ouvrit sur
un groupe d’individus en uniforme policier accompagnés de deux
autres personnes portant un énorme bélier.
Suite à l’entrée
fracassante des agents de l’ordre, la salle entière commença à
se désagréger, de gros morceaux de pierres se détachaient du
plafond, des pans entiers de murs quittaient leur support, le sol se
craquelait en centaines de morceaux et de larges crevasses
apparaissaient çà et là. Mais, étrangement, tous ces blocs qui
chutaient ne s’écrasaient pas lourdement sur les dalles fissurées,
ils flottaient dans les airs et se transformaient rapidement en une
poudre bleutée pour être ensuite dispersés dans l’air.
Quand cette étrange
destruction s’arrêta, il ne restait plus rien de l’endroit où
nous avions mené le combat contre les forces de La Fontaine. Autour
de nous, dans un large périmètre, des agents de sécurité
maintenaient les auteurs curieux à distance, un long cordon jaune
délimitait la zone interdite au public, les agents ayant provoqué
la destruction de la pièce s’approchèrent de Marie.
-Mademoiselle, demanda
l’un d’eux d’une voix apaisante, est-ce que ça va ?
-Oui, c’est bon, j’ai
réparé les dommages les plus importants, hoqueta-t-elle, il va
mieux.
L’homme, qui possédait
soit dit en passant une tête de taureau, s’étonna de la réponse
de son interlocutrice, et posa rapidement son regard sur moi avant
de retourner vers la guerrière.
-Oui, bien sûr, mais je
voulais parler de vous. Votre héros s’en sortira, il faut
maintenant que vous vous soigniez, vos blessures m’ont l’air
sérieuses, et je pense que votre personnage comprendra si nous vous
emmenons pour vous soigner.
L’héroïne ouvrit de
grands yeux ronds en entendant les paroles du policier :
-Vous faites erreur, ce
n’est pas un héros, c’est mon auteur.
Le minotaure se tourna
vers ses camarades.
-Elle est encore en état
de choc, il vaut mieux la porter jusqu’au médecin.
Ses collègues
acquiescèrent et deux d’entre eux s’avancèrent pour aider celle
qu’ils prenaient pour un écrivain à se relever. Bien que mon
corps semblât s’être mis sur le mode veille, je parvins à
articuler :
-Elle dit vrai, c’est
moi l’auteur.
Cette simple phrase
m’épuisa et je retombai dans le mutisme le plus complet, restant
muet aux interrogations de nos sauveurs qui désiraient s’assurer
de la véracité de mes dires. Fort heureusement Anna et Gabriel se
trouvaient là eux aussi et purent confirmer mon statut.
Atterrés, les gardes
décidèrent de mettre leurs questions de côté et de me
transporter. Je sentais que l’on me soulevait par les jambes et par
les bras ; mon champ de vision balançait au rythme des pas de
mes porteurs.
Le voyage ne fut pas
long, et très vite je rentrai dans une grande tente en toile
blanche. On me déposa délicatement sur ce qui devait être une
table en fer étant donné le froid mordant qui traversait mon
vêtement déchiré.
Une nouvelle personne
entra, il s’agissait de l’infirmier : ce dernier ne perdit
pas de temps en paroles et se pencha au-dessus de moi. Il s’agissait
d’un homme d’une quarantaine d’années, au visage glacial, ses
grands yeux gris plantés dans les miens semblaient lire en moi.
-Où est-il touché ?
Sa voix, grave et
monocorde, me fit frissonner.
-Un Lion l’a lacéré
au torse, répondit Gabriel.
Le soigneur souleva mon
vêtement et examina l’endroit indiqué par Le Faucon, ses mains
palpèrent plusieurs zones spécifiques, puis redescendirent jusqu’à
mon ventre. Puis, en quelques gestes, il examina mes signes vitaux
avant de se redresser vers mes héros :
-Je ne sens pas de
lésions internes graves et de plus ses signes vitaux sont normaux,
aucune trace d’une quelconque blessure.
-C’est parce que je
l’ai réparé, intervint Marie.
L’homme se tourna vers
l’héroïne et la toisa durement :
-Petite, je n’ai pas le
temps pour plaisanter, sache que d’autres malades m’attendent et
que puisque celui-ci n’a rien, je ne vois pas pourquoi je devrais
rester ici plus longtemps.
Sur ces paroles, il
tourna les talons et sortit de l’abri. Sur ma table, je luttai
contre cette torpeur dans laquelle je me trouvais plongé depuis ces
fameuses réparations, l’engourdissement disparaissait lentement
mais je pouvais désormais bouger la tête librement, et même si mes
jambes restaient totalement insensibles, mes bras retournaient à la
vie. L’entrée de tissu s’ouvrit sur un jeune homme :
-Eh bien eh bien, comme
on se retrouve !
Je mis encore un instant
à reconnaître William, l’auteur au service de l’administration
qui m’avait sauvé de l’emprise de la Mort.
-J’ai croisé Gareth,
l’infirmier, sur le chemin, rit-il, je ne sais pas ce que vous lui
avez dit mais il semblait être en colère.
-Il ne m’a pas cru
quand je lui ai dit que j’avais réparé Emmanuel, s’offusqua la
guerrière.
Le garçon se retourna
vers Marie avec un mélange de surprise et de méfiance dans le
regard :
-Cela ne m’étonne pas
qu’il ne t’a pas cru, ce que tu dis est techniquement impossible
à faire dans ce monde, les héros ne peuvent pas toucher directement
aux livres des auteurs, c’est une règle essentielle.
Malgré ces paroles,
l’héroïne refusait de capituler, et alors que le nouveau venu
s’approchait de moi, elle courut jusqu’à mon sac et en sortit un
cahier avec de quoi écrire. Des barreaux de fer, émergeant de la
terre, se dressèrent autour de l’auteur dans un bruit strident :
-Et maintenant ? Tu n’as
pas d’autre choix que de me croire, non ?
Alertés par le vacarme,
des agents entrèrent en trombe dans la tente et se trouvèrent nez à
nez avec mon personnage qui, pour parfaire sa démonstration, enferma
tous les héros de sécurité dans des cages.
-Ca suffit !
L’ordre fusa, et il
venait de moi, en voyant la scène, l’immobilité dont j’étais
victime disparut et je retrouvai le plein usage de mon corps.
Quittant la froide table ou l‘on m‘avait posé, je contournai les
barreaux, rejoignis Marie et lui ôtai le livre des mains. Les
créations, déjà vacillantes, s’évanouirent complètement et
tous récupérèrent leur liberté, William délivra une flopée de
directives, après quoi les policiers sortirent, nous laissant de
nouveau entre nous.
-Eh bien je ne sais pas
quoi dire. Je ne peux que constater que tu parviens bel et bien à
écrire, bien que cela te soit normalement impossible, et même si
tes écrits sont instables il n’empêche que cela reste tout de
même très étrange. Si cela venait à se savoir, tu risquerais
d’avoir des ennuis.
Mon héroïne s’étonna
de ces propos :
-Mais je n’ai rien fait
!
L’auteur, perplexe,
réfléchit un instant puis se tourna vers moi :
-Je t’ai dit la
dernière fois que je serais là si tu avais un jour besoin de moi.
Je suppose que ce jour est arrivé plus vite que prévu, alors voilà
ce que je te propose.
Nous étions tous pendus
à ses lèvres.
-Je ne dirai rien au
sujet de ton personnage, je vais faire comme si rien de tout cela ne
s’était passé, officiellement, tu t’es défendu contre les
héros du tueur et tu t’en es sorti indemne, point à la ligne, et
ainsi nous serons quittes ; je suppose que cela te convient
comme arrangement ?
J’opinai, même si je
ne voyais pas en quoi le fait que mon héroïne puisse écrire soit
important, je comprenais en voyant la réaction de l’écrivain
qu’il devait s’agir de quelque chose de grave.
-Bien, conclut-il,
Maintenant que tout est réglé, je vous conseille de déguerpir, ne
vous inquiétez pas au sujet de La Fontaine, l’administration a
gelé ses livres, il ne pourra pas faire réapparaître son armée
d’animaux. Et même si nous n’avons pas pu mettre la main sur
lui, nous sommes presque sûrs qu’il s’est réfugié quelque part
chez les poètes. S’il s‘éloigne ne serait-ce qu‘un peu de ses
alliés, nous lui sauterons dessus.
Devant nos airs surpris,
notre interlocuteur développa :
-Vous n’étiez pas au
courant, l’administration a fait passer un message à ce sujet. La
Fontaine a rejoint les rangs des indépendantistes, et ce sont
d’ailleurs eux qui ont écrit cette salle dans laquelle vous vous
trouviez. Nous ne savons pas comment ils ont fait, cependant cela
prouve qu’ils travaillent bien ensemble, en sachant cela il nous
est aisé de le surveiller puisque nous savons exactement où ils se
trouvent.
Sa phrase m’étonna :
-Si vous savez où ils se
trouvent, pourquoi ne pas y aller tout simplement ?
L’agent poussa un long
soupir.
-Parce que les choses ne
sont pas aussi simples, et qu’ils ont bâti leur base dans un
endroit très particulier.
-Mais pourquoi
s’acharne-t-il sur nous ? Demanda Gabriel
-Ça par contre, cela
reste un mystère, mais qu’il se soit focalisé sur vous nous a
permis de le démasquer et de le rechercher, et pour cela
l’administration vous remercie. Bon, et maintenant partez vite
avant que d’autres inspecteurs ne rappliquent, je suppose que ce
n’est qu’une question de minutes désormais.
Il ne fallut pas nous le
dire deux fois. Après avoir salué notre sauveur, je ramassai mes
affaires, sortis de la tente et quittai la zone surveillée. A partir
de là, nous marchâmes d’un pas pressé jusqu’à notre chambre.
Ce ne fut qu’une fois
l’appartement atteint et la porte fermée à double tour que nous
nous sentîmes véritablement en sécurité, ici rien ne semblait
pouvoir nous atteindre.
-Dorénavant Marie,
interdiction de toucher à mes cahiers ! Visiblement, que tu
saches écrire poserait problème, alors tache d’être discrète !
Elle acquiesça, le
silence retomba, après les événements récents, personne ne
souhaitait parler et nous restions assis, pensifs, même les
gargouillements ne nos ventres nous laissaient indifférents De mon
côté, je ne parvenais pas à déterminer si le moment le plus
horrible était le combat ou les soins de mon héroïne.
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