dimanche 2 novembre 2014

Accalmie

Le combat était enfin terminé. Il s’agissait du dernier adversaire, nous avions gagné, nous étions parvenu à résister au tueur en série, mieux, nous avions vaincu son armée et étions toujours en vie.
Perdu dans mes pensées, je restai étendu à même le sol, mon héroïne en larmes à mes côtés.
Un bruit dans le fond de la pièce me sortit de mes rêveries, il s’agissait de battements réguliers qui ébranlaient toute la salle. Ce son s’amplifia, la pulsation se faisait de plus en plus forte et de plus en plus rapprochée, bientôt, chaque coup résonnait en moi, les vibrations du sol venaient chatouiller mon corps, mon rythme cardiaque se cala sur cet étrange pouls et je ne cherchai même pas à savoir d’où provenaient ces chocs.
Soudain, une secousse fit voler un mur en éclats, l’explosion souleva un épais nuage de poussière qui empêchait de visualiser ce qu’il se passait. Après un court moment d’attente, le brouillard de débris s’ouvrit sur un groupe d’individus en uniforme policier accompagnés de deux autres personnes portant un énorme bélier.
Suite à l’entrée fracassante des agents de l’ordre, la salle entière commença à se désagréger, de gros morceaux de pierres se détachaient du plafond, des pans entiers de murs quittaient leur support, le sol se craquelait en centaines de morceaux et de larges crevasses apparaissaient çà et là. Mais, étrangement, tous ces blocs qui chutaient ne s’écrasaient pas lourdement sur les dalles fissurées, ils flottaient dans les airs et se transformaient rapidement en une poudre bleutée pour être ensuite dispersés dans l’air.
Quand cette étrange destruction s’arrêta, il ne restait plus rien de l’endroit où nous avions mené le combat contre les forces de La Fontaine. Autour de nous, dans un large périmètre, des agents de sécurité maintenaient les auteurs curieux à distance, un long cordon jaune délimitait la zone interdite au public, les agents ayant provoqué la destruction de la pièce s’approchèrent de Marie.

-Mademoiselle, demanda l’un d’eux d’une voix apaisante, est-ce que ça va ?

-Oui, c’est bon, j’ai réparé les dommages les plus importants, hoqueta-t-elle, il va mieux.

L’homme, qui possédait soit dit en passant une tête de taureau, s’étonna de la réponse de son interlocutrice, et posa rapidement son regard sur moi avant de retourner vers la guerrière.

-Oui, bien sûr, mais je voulais parler de vous. Votre héros s’en sortira, il faut maintenant que vous vous soigniez, vos blessures m’ont l’air sérieuses, et je pense que votre personnage comprendra si nous vous emmenons pour vous soigner.

L’héroïne ouvrit de grands yeux ronds en entendant les paroles du policier :

-Vous faites erreur, ce n’est pas un héros, c’est mon auteur.

Le minotaure se tourna vers ses camarades.

-Elle est encore en état de choc, il vaut mieux la porter jusqu’au médecin.

Ses collègues acquiescèrent et deux d’entre eux s’avancèrent pour aider celle qu’ils prenaient pour un écrivain à se relever. Bien que mon corps semblât s’être mis sur le mode veille, je parvins à articuler :

-Elle dit vrai, c’est moi l’auteur.

Cette simple phrase m’épuisa et je retombai dans le mutisme le plus complet, restant muet aux interrogations de nos sauveurs qui désiraient s’assurer de la véracité de mes dires. Fort heureusement Anna et Gabriel se trouvaient là eux aussi et purent confirmer mon statut.
Atterrés, les gardes décidèrent de mettre leurs questions de côté et de me transporter. Je sentais que l’on me soulevait par les jambes et par les bras ; mon champ de vision balançait au rythme des pas de mes porteurs.
Le voyage ne fut pas long, et très vite je rentrai dans une grande tente en toile blanche. On me déposa délicatement sur ce qui devait être une table en fer étant donné le froid mordant qui traversait mon vêtement déchiré.
Une nouvelle personne entra, il s’agissait de l’infirmier : ce dernier ne perdit pas de temps en paroles et se pencha au-dessus de moi. Il s’agissait d’un homme d’une quarantaine d’années, au visage glacial, ses grands yeux gris plantés dans les miens semblaient lire en moi.

-Où est-il touché ?

Sa voix, grave et monocorde, me fit frissonner.

-Un Lion l’a lacéré au torse, répondit Gabriel.

Le soigneur souleva mon vêtement et examina l’endroit indiqué par Le Faucon, ses mains palpèrent plusieurs zones spécifiques, puis redescendirent jusqu’à mon ventre. Puis, en quelques gestes, il examina mes signes vitaux avant de se redresser vers mes héros :

-Je ne sens pas de lésions internes graves et de plus ses signes vitaux sont normaux, aucune trace d’une quelconque blessure.

-C’est parce que je l’ai réparé, intervint Marie.

L’homme se tourna vers l’héroïne et la toisa durement :

-Petite, je n’ai pas le temps pour plaisanter, sache que d’autres malades m’attendent et que puisque celui-ci n’a rien, je ne vois pas pourquoi je devrais rester ici plus longtemps.

Sur ces paroles, il tourna les talons et sortit de l’abri. Sur ma table, je luttai contre cette torpeur dans laquelle je me trouvais plongé depuis ces fameuses réparations, l’engourdissement disparaissait lentement mais je pouvais désormais bouger la tête librement, et même si mes jambes restaient totalement insensibles, mes bras retournaient à la vie. L’entrée de tissu s’ouvrit sur un jeune homme :

-Eh bien eh bien, comme on se retrouve !

Je mis encore un instant à reconnaître William, l’auteur au service de l’administration qui m’avait sauvé de l’emprise de la Mort.

-J’ai croisé Gareth, l’infirmier, sur le chemin, rit-il, je ne sais pas ce que vous lui avez dit mais il semblait être en colère.

-Il ne m’a pas cru quand je lui ai dit que j’avais réparé Emmanuel, s’offusqua la guerrière.

Le garçon se retourna vers Marie avec un mélange de surprise et de méfiance dans le regard :

-Cela ne m’étonne pas qu’il ne t’a pas cru, ce que tu dis est techniquement impossible à faire dans ce monde, les héros ne peuvent pas toucher directement aux livres des auteurs, c’est une règle essentielle.

Malgré ces paroles, l’héroïne refusait de capituler, et alors que le nouveau venu s’approchait de moi, elle courut jusqu’à mon sac et en sortit un cahier avec de quoi écrire. Des barreaux de fer, émergeant de la terre, se dressèrent autour de l’auteur dans un bruit strident :

-Et maintenant ? Tu n’as pas d’autre choix que de me croire, non ?

Alertés par le vacarme, des agents entrèrent en trombe dans la tente et se trouvèrent nez à nez avec mon personnage qui, pour parfaire sa démonstration, enferma tous les héros de sécurité dans des cages.

-Ca suffit !

L’ordre fusa, et il venait de moi, en voyant la scène, l’immobilité dont j’étais victime disparut et je retrouvai le plein usage de mon corps. Quittant la froide table ou l‘on m‘avait posé, je contournai les barreaux, rejoignis Marie et lui ôtai le livre des mains. Les créations, déjà vacillantes, s’évanouirent complètement et tous récupérèrent leur liberté, William délivra une flopée de directives, après quoi les policiers sortirent, nous laissant de nouveau entre nous.

-Eh bien je ne sais pas quoi dire. Je ne peux que constater que tu parviens bel et bien à écrire, bien que cela te soit normalement impossible, et même si tes écrits sont instables il n’empêche que cela reste tout de même très étrange. Si cela venait à se savoir, tu risquerais d’avoir des ennuis.

Mon héroïne s’étonna de ces propos :

-Mais je n’ai rien fait !

L’auteur, perplexe, réfléchit un instant puis se tourna vers moi :

-Je t’ai dit la dernière fois que je serais là si tu avais un jour besoin de moi. Je suppose que ce jour est arrivé plus vite que prévu, alors voilà ce que je te propose.

Nous étions tous pendus à ses lèvres.

-Je ne dirai rien au sujet de ton personnage, je vais faire comme si rien de tout cela ne s’était passé, officiellement, tu t’es défendu contre les héros du tueur et tu t’en es sorti indemne, point à la ligne, et ainsi nous serons quittes ; je suppose que cela te convient comme arrangement ?

J’opinai, même si je ne voyais pas en quoi le fait que mon héroïne puisse écrire soit important, je comprenais en voyant la réaction de l’écrivain qu’il devait s’agir de quelque chose de grave.

-Bien, conclut-il, Maintenant que tout est réglé, je vous conseille de déguerpir, ne vous inquiétez pas au sujet de La Fontaine, l’administration a gelé ses livres, il ne pourra pas faire réapparaître son armée d’animaux. Et même si nous n’avons pas pu mettre la main sur lui, nous sommes presque sûrs qu’il s’est réfugié quelque part chez les poètes. S’il s‘éloigne ne serait-ce qu‘un peu de ses alliés, nous lui sauterons dessus.

Devant nos airs surpris, notre interlocuteur développa :

-Vous n’étiez pas au courant, l’administration a fait passer un message à ce sujet. La Fontaine a rejoint les rangs des indépendantistes, et ce sont d’ailleurs eux qui ont écrit cette salle dans laquelle vous vous trouviez. Nous ne savons pas comment ils ont fait, cependant cela prouve qu’ils travaillent bien ensemble, en sachant cela il nous est aisé de le surveiller puisque nous savons exactement où ils se trouvent.

Sa phrase m’étonna :

-Si vous savez où ils se trouvent, pourquoi ne pas y aller tout simplement ?

L’agent poussa un long soupir.

-Parce que les choses ne sont pas aussi simples, et qu’ils ont bâti leur base dans un endroit très particulier.

-Mais pourquoi s’acharne-t-il sur nous ? Demanda Gabriel

-Ça par contre, cela reste un mystère, mais qu’il se soit focalisé sur vous nous a permis de le démasquer et de le rechercher, et pour cela l’administration vous remercie. Bon, et maintenant partez vite avant que d’autres inspecteurs ne rappliquent, je suppose que ce n’est qu’une question de minutes désormais.

Il ne fallut pas nous le dire deux fois. Après avoir salué notre sauveur, je ramassai mes affaires, sortis de la tente et quittai la zone surveillée. A partir de là, nous marchâmes d’un pas pressé jusqu’à notre chambre.
Ce ne fut qu’une fois l’appartement atteint et la porte fermée à double tour que nous nous sentîmes véritablement en sécurité, ici rien ne semblait pouvoir nous atteindre.

-Dorénavant Marie, interdiction de toucher à mes cahiers ! Visiblement, que tu saches écrire poserait problème, alors tache d’être discrète !

Elle acquiesça, le silence retomba, après les événements récents, personne ne souhaitait parler et nous restions assis, pensifs, même les gargouillements ne nos ventres nous laissaient indifférents De mon côté, je ne parvenais pas à déterminer si le moment le plus horrible était le combat ou les soins de mon héroïne.



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